Les Poupées : Nedjar par Mane

photographies du spectacle Les poupées chorégraphié par Marine Mane

La chorégraphe Marine Mane propose dans le OFF d’Avignon une lecture graphique et chorégraphique de l’œuvre du « Maître des poupées » Michel Nedjar. Sur la base d’interviews avec l’artiste, intégrées dans une riche création sonore, elle esquisse un portrait saisissant et questionne l’acte de créer.

Un parcours singulier

« C’est quoi Michel Nedjar ? C’est comment ? ». Ce sont avec ses propres mots, sa propre voix, étonnamment juvénile pour un septuagénaire, que Michel Nedjar ouvre Les Poupées de la chorégraphe Marine Mane, œuvre qui le célèbre.Michel Nedjar, c’est un artiste plasticien et un cinéaste expérimental longtemps associé à l’art brut et qui, sa vie durant, a conçu des poupées, mais pas seulement. Le commun des mortels ne sait pas grand-chose de lui.

Pourtant Nedjar, découvert par Jean Dubuffet au moment où il travaille sur la résurgence du corps symbolique, est un de ces créateurs protéiformes qui incarnent une absolue liberté. Présent dans d’innombrables collections, il est le premier « brut » à être entré dans celles du Musée national d’art moderne (entre autres). Marine Mane, elle aussi discrète, néanmoins essentielle car à la croisée de multiples médiums, s’est penchée sur ce parcours singulier.

Questionner l’acte même de créer

Elle s’est d’abord rendue de nombreuses fois dans son antre, atelier parisien-cocon cher à l’artiste. Au gré de leurs riches conversations enregistrées, elle a tiré une trame pour sa création qui déroule le fil d’une vie. En plusieurs actes annoncés par des morceaux de tissus où des mots cousus dévoilent les pans d’une existence – la peinture à l’école, les plaisirs du jardin et de sa terre à modeler, le confort d’un atelier – Les Poupées questionne l’acte même de créer. Son fondement.

De son propre aveu, Michel Nedjar détestait l’école et n’aimait rien d’autre que dessiner. Une professeure bien inspirée l’en a félicité. Quant à la violence de son père, mâle alpha ? C’est un repoussoir. Les doux visages des poupées le réconfortent ; pourquoi pas en créer alors ? Avec tout ce qui lui passe sous la main. Des tissus défraichis, des pelotes de laine, des cartons. Coudre, découdre, tisser, repasser, transformer… faire poupée de tout bois et bout de ficelle, puis toujours faire macérer dans la boue du jardin.

A l’avant-garde : Michel Nedjar – Sans titre – 1981

La sensibilité d’une œuvre intemporelle

Au plateau, deux artistes incarnent physiquement les corps et âme de Michel, ses poupées aussi. Un homme et une femme, son Ying et son Yang. Entre danse et théâtre, l’enfance en bandoulière toujours, ils sont tour à tour feuille d’automne virevoltante ou oiseau pépiant. Léger et insouciant comme un écolier. Ou alors adolescent tempétueux malicieusement rock’n’roll. Ils sont les multiples facettes du jeune Michel Nedjar, décrivant par là même les mécanismes complexes de son acte créateur.Au départ doux, cotonneux, blanc clinique comme peut être l’être un atelier virginal, Les Poupées se colorent, se salissent … les mains du créateur raturent, cherchent, éclaboussent.

La beauté émerge, les couleurs apparaissent sur le tapis blanc du théâtre, sur ses murs. La voix d’Annette Messager se fait entendre. À sa suite, Joseph Beuys, Louise Bourgeois nous font des clins d’œil. Et toujours en fond sonore la voix de Michel Nedjar qui se dévoile… mais si peu au final. Il taira les affres de la Shoah dont sa famille fut victime, son combat pour les droits des homosexuels. Une vie si riche ne peut être contée en moins d’une heure, Marine Mane en dévoile la quintessence. Avec délicatesse, pudeur.Entre danse, art plastique et création sonore, Les Poupées saisit avec subtilité la sensibilité d’une œuvre intemporelle.

Dédié au jeune public qui, en cette représentation avignonnaise, se gaussait des facéties des interprètes, Les Poupées séduisent tout autant les adultes, plus graves, qui eux saisissent l’inquiétante étrangeté d’une œuvre de totems work in progress. À 75 ans, Michel Nedjar poursuit sans relâche sa quête, avec rage. Coup de rage, coudrage … Ses poupées n’ont pas fini de nous intriguer.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus sur le spectacle les Poupées, consultez le site de la compagnie In Vitro.

Dieter Loquen

Posted by Dieter Loquen

Natif de Zurich, Dieter Loquen a pris racine à Paris il y a maintenant 20 ans. On le rencontre à proximité des théâtres et des musées. De la capitale, mais pas seulement. Il aime particulièrement l'émergence artistique. Et n'a rien contre les projets à haut potentiel queerness.