Père Eustache : gros plan sur Julie Furton, artiste et drag king

Père Eustache dans ses oeuvres

Nouvelle pépite en date à scintiller dans le ruisseau magique des soirées Velue organisées par nos petits camarades de Bragi Pufferfish : sa barbe, sa soutane et sa belle voix de mezzo, Père Eustache n’a pas fini de nous faire rire avec ses chansons à peine paillardes, son regard désabusé sur un célibat ecclésiastique hors d’âge et son sens de la scène et du comique. Exemple, ukulele et auréole à l’appui :

Endosser la chasuble en mode drag king

Derrière ce personnage rubicond et jovial qui repense le texte d’Oldelaf avec beaucoup de finesse et un soupçon de malice, Julie Furton. Actrice de formation, cheffe de la Queerale, Julie, dotée d’un organe qui évoque une version burlesque de Berganza ou Bartoli, a choisi d’embrasser la drag king attitude en se forgeant… un personnage d’homme d’Église. Père Eustache a donc vu le jour en décembre 2019… juste avant que la Covid nous tombe dessus. Cela aurait pu mettre un terme à la carrière de notre fringuant curé. Mais les voies/voix du Seigneur, réputées impénétrables, en ont décidé autrement : Saint Eustache et son auréole ont survécu à cette traversée du désert viral pour continuer d’absoudre nos péchés avec autant d’humour que de talent et de pertinence.

Comme l’explique Julie Furton, qui a longtemps fréquenté le catéchisme dans sa prime jeunesse (son évocation du pèlerinage à Lourdes est d’anthologie), avec une allégresse assumée et beaucoup de beaux souvenirs (et de moins bons, toujours le pèlerinage à Lourdes en compagnie de Mémé Lulu la catéchèse, d’anthologie, je vous dis), incarner sa masculinité en façonnant ce profil de prêtre aussi doux que drôle (néanmoins incisif quand il s’agit de remettre les pendules à l’heure et de clarifier les bénitiers), c’est une manière de se faire plaisir, de « jouer un rôle que je n’aurais jamais eu autrement ». Elle rappelle au passage que la fonction cléricale demeure hermétiquement fermée aux dames, contrairement au métier de sous-marinier, officiellement féminisé… en 2017 : c’est donc un « joli doigt d’honneur » que d’endosser la chasuble en mode drag king. L’occasion de réfléchir ensemble à la fois sur la notion de genre, le fait religieux, l’attirance amoureuse… et de faire bouger les lignes, sans jamais se moquer, car il ne s’agit pas ici de faire mal, mais de se/nous faire du bien.

Père Eustache bicéphale

Du bien au moral, à l’esprit, à l’égo ! Père Eustache vient à nous le sourire aux lèvres, désireux de partager des moments de légèreté saupoudrés de quelques vérités, simplement et avec un enthousiasme évident. Partager quelques instants avec lui, c’est retrouver un peu de sérénité et de recul dans ce monde de brutes. C’est aussi l’occasion de goûter la poésie d’un dandy qui cache bien son jeu : car Père Eustache possède un autre visage, plus mystérieux, élégamment fardé comme celui du maître de cérémonie de Cabaret. Une déclinaison plus précieuse, parfois grossière, particulièrement fascinante. Chemisier immaculé, harnais de cuir, fourrure rouge, cheveux gominés, sous la soutane et l’auréole, Père Eustache dissimule les traits d’un Pierrot lunaire échappé d’une peinture d’Otto Dix. Une version rare, racée, volontiers plus coquine aussi, très Années Folles, très Babylon Berlin, dans le sillage du célèbre Pustra.

Ce côté bicéphale dénote un travail de construction du personnage particulièrement élaboré, complexe, creusé. Mais cet oxymore est finalement très cohérent dans ses ambiguïtés assumées. Parce que l’humin est tout sauf simple. Aussi, Père Eustache cultive cette charmante singularité, le ton et le verbe justes en toute circonstance : capable d’animer un Bingo Drag des heures durant ou d’assurer des performances à la table, d’improviser un sketch hilarant mais détaillé sur les deniers de l’Église, il fait mouche, avec bonhommie. Preuve que la créativité de Julie Furton s’exprime à 360°. Venue au drag king par le hasard d’une erreur de casting, cette artiste très complète, sensible et d’une rare intelligence, témoigne d’une scène underground aussi bouillonnante que discrète. M’est avis que Père Eustache et ses deux visages n’ont pas fini ni d’évoluer, ni de faire parler d’eux.

Merci à Julie Furton pour son temps et ses explications.

Merci à Jérémie Lapeyre, Bragi Pufferfish et la team La Velue pour cette belle et prometteuse trouvaille.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus, explorez le compte Instagram de Julie Furton.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com