Préquelle, séquelle, spin-off : le recyclage hollywoodien est-il en train de tuer le cinéma ?

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différents spin off préquelles séquelles et remakes de films

Il y a vingt ans, on allait au cinéma pour découvrir une histoire. Aujourd’hui, on y va pour en retrouver une. Même univers, mêmes personnages, mêmes ficelles. Bienvenue dans l’ère du recyclage narratif où préquelles, séquelles, spin-offs, remakes et reboots saturent les écrans. Le phénomène s’est banalisé au point de transformer le cinéma en une gigantesque franchise à tiroirs. Mais à quel prix ? Loin d’un simple effet de mode, cette logique d’exploitation à outrance obéit à des dynamiques industrielles et marketing qui interrogent profondément la qualité artistique et la diversité créative du septième art. Décryptage.

Petites définitions entre cinéphiles

Avant de démonter la machine, posons les termes du débat, avec quelques définitions :

  • Séquelle : suite directe d’une œuvre. Exemple : Top Gun: Maverick (2022), qui reprend les personnages du film de 1986.
  • Préquelle : histoire qui se déroule avant l’intrigue originale. Exemple : la trilogie Star Wars épisodes I à III.
  • Spin-off : histoire dérivée d’un personnage ou d’un élément secondaire. Exemple : Better Call Saul, dérivé de Breaking Bad.
  • Reboot : relancer une franchise à zéro, avec une nouvelle continuité. Exemple : The Batman (2022) qui n’a aucun lien avec les versions précédentes.
  • Remake : refaire le même film avec des moyens ou un ton différent. Exemple : Les Infiltrés de Scorsese, remake du thriller hongkongais Infernal Affairs.

Comme vous pouvez le constater, ces stratégies ne datent pas d’hier (on aurait pu citer La Planète des Singes, James Bond ou Les Trois Mousquetaires en exemple), mais leur multiplication actuelle relève d’une systématisation industrielle. Hollywood n’explore plus, il exploite.

L’industrie du déjà-vu : quand le cinéma devient un produit dérivé

Il faut bien comprendre que derrière chaque nouvelle séquelle, il y a une promesse : celle d’un retour sur investissement presque garanti.

Les chiffres parlent d’eux-même :

  • Le Marvel Cinematic Universe (MCU) a rapporté plus de 29 milliards de dollars à ce jour (cf Konbini).
  • Le rachat de Star Wars par Disney en 2012 pour 4 milliards de dollars a été amorti en moins de 5 ans grâce aux films, jouets, séries, et produits dérivés (cf 20 Minutes).
  • En 2023, 9 des 10 plus gros succès du box-office mondial étaient des suites ou des films issus de franchises (cf Wikipedia).

Ce modèle repose sur une logique simple : minimiser les risques. Une marque connue attire plus qu’un scénario inconnu. L’ »IP » (intellectual property) devient l’alpha et l’oméga des studios, qui préfèrent miser sur Fast & Furious 12 plutôt que sur un auteur inconnu avec une idée originale.

Les plateformes comme Netflix, Amazon ou Disney+ ne s’y trompent pas. Elles misent tout sur les univers étendus, qui génèrent de l’abonnement récurrent. Chaque épisode, chaque série dérivée est une brique de plus dans un écosystème narratif tentaculaire — une stratégie que le chercheur Henry Jenkins a théorisée sous le nom de transmedia storytelling (Convergence Culture, 2006).

Le marketing de la nostalgie : comment vendre du vieux comme du neuf

Pour séduire le public, les studios ont peaufiné la recette, et il faut bien reconnaître qu’elle est aussi imparable qu’implacable, avec trois ingrédients clés :

Fan service et madeleine de Proust

Le retour de Tobey Maguire dans Spider-Man: No Way Home, les clins d’œil à Jurassic Park dans Jurassic World, ou le revival de Matrix avec Resurrections ne sont pas des hasards : ce sont des opérations de séduction. On appelle ça du fan service, c’est-à-dire une stratégie visant à flatter la mémoire émotionnelle des spectateurs.

Hyperspectacle calibré

Les bandes-annonces deviennent de véritables événements. Teasers, trailers, leaks, conférences à la Comic-Con : chaque lancement de film est orchestré comme une campagne électorale. On vend une promesse plus qu’un film. Parfois même, on vend l’attente du film (The Flash, Avatar 2, Dune…).

Transmédialité et merchandising

L’univers ne s’arrête pas à l’écran : figurines, romans, séries animées, jeux vidéo prolongent l’expérience. Le film devient un produit-cœur dans une stratégie de diversification commerciale.

Et la qualité là-dedans ?

Le problème, c’est que l’industrie semble avoir confondu continuité et pertinence. À force de tirer sur la corde, elle casse. Avec plusieurs dérapages calibrés.

La dilution du propos

Beaucoup de suites ou de spin-offs ne racontent rien de neuf (Fantastic Beasts, The Walking Dead: Dead City, The Hobbit en trois volets !). Pire : elles affaiblissent la puissance du récit initial.

Standardisation esthétique

Mêmes codes visuels, même structure scénaristique (intro/choc, retournement à mi-parcours, climax CGI), mêmes personnages archétypaux. Le film devient un format, une formule.

Horizon rétréci

Comme l’écrit Martin Scorsese dans sa tribune pour The New York Times (2019), le cinéma de franchise « ne propose pas d’enjeux, pas de mystère, pas de révélation artistique. » Il parle d’ »attractions de parc d’attractions » plutôt que de cinéma.

Quelques exceptions brillantes

Heureusement, tout n’est pas à jeter : Mad Max: Fury Road, The Dark Knight, ou Dune montrent qu’on peut faire du grand cinéma dans un univers préexistant. À condition d’y mettre de la vision, de la folie, du style.

Quel avenir pour la création originale ?

Le principal dommage collatéral de cette logique de franchise, c’est bien évidemment l’étouffement de la nouveauté. Les studios rejettent les scénarios originaux « trop risqués ». Des réalisateurs comme Damien Chazelle (Babylon), Alex Garland (Men) ou les Daniels (Everything Everywhere All at Once) peinent à monter des projets sans avoir prouvé leur rentabilité.

Heureusement, la vitalité existe encore :

On trouve encore des films qui prennent des risques, bousculent les codes, et rencontrent un vrai public. Des films qui passent par la case « ciné indépendant ».

Et il faudrait peut-être en tenir compte car, si l’on en croit certains médias, les films Marvel commencent à enregistrer une baisse significative de fréquentation. La « franchise fatigue » s’installe. Les spectateurs ont besoin d’être surpris, bouleversés, déstabilisés. Le cinéma ne peut pas être un éternel replay.

Conclusion : inventer ou périr ?

Recyclage ou régression ? Le débat reste ouvert. Ce qui est certain, c’est que le cinéma vit une mutation profonde. Il peut choisir la voie du contenu prévisible, rassurant, monétisable. Ou celle de l’invention, du risque, de la rupture. Les deux ne sont pas incompatibles, mais l’équilibre est fragile. La suite de l’histoire dépendra autant des studios que du public. Et si on arrêtait de revoir ce qu’on connaît déjà… pour explorer ce qu’on n’a encore jamais vu ?

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com