Le Monde selon l’IA : apprendre à voir ce que les machines nous cachent

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Orchestrée par ce temple de l’image moderne qu’est Le Jeu de Paume, l’exposition Le Monde selon l’IA propose un parcours d’une richesse rare, aussi dense que nécessaire, articulé autour de deux grands axes :

  • l’IA analytique – celle qui observe, trie, classe, profile ;
  • l’IA générative – celle qui crée, simule, fabrique de l’illusion.

Objectif : voir comment les machines nous voient. Débusquer ce que l’intelligence artificielle produit de faux, d’ambigu, de biaisé — mais aussi ce qu’elle rend visible, malgré elle. Le tout dans une scénographie pensée comme un parcours critique et sensoriel, ponctué de “capsules temporelles” qui font dialoguer l’histoire des images avec les technologies actuelles.

Voir sans comprendre, comprendre pour mieux voir

Dans un monde où plus de 70 % des images circulant en ligne sont générées par des IA (étude Capgemini 2024 citée par aestheticsofphotography.com ), et où 76 % des internautes se disent incapables de faire la différence entre une image artificielle et une photographie réelle (étude Getty Images citée par La Réclame), former le regard devient une urgence démocratique.

L’IA n’est plus une nouveauté. Elle est un paysage. Et elle est partout : dans les filtres de nos selfies, dans les caméras de surveillance, dans les visuels publicitaires, dans les archives manipulées. Mais que produit-elle vraiment ? Que masque-t-elle ? Que dit-elle de nous ? L’exposition propose des clés pour répondre : artefacts visuels, biais esthétiques, prompts narratifs, fantômes historiques… Autant de fils à tirer pour dénouer la grande illusion.

Quand l’IA voit à notre place

Le premier versant de l’exposition est consacré à l’IA analytique. On y découvre comment les algorithmes de vision par ordinateur détectent, classent, catégorisent — souvent à notre insu.

Des œuvres comme Faces of ImageNet de Trevor Paglen ou Calculating Empires de Kate Crawford & Vladan Joler exposent la brutalité douce de ces systèmes : des visages enfermés dans des cases absurdes, des infrastructures gigantesques d’extraction de données invisibles, des micro-travailleurs sous-payés pour entraîner les modèles. L’IA analytique ne se contente pas de voir. Elle réduit, elle décide, elle profile. Et cela, sans nous demander notre avis.

Quand l’IA fabrique des fictions crédibles

Le second volet s’ouvre sur le monde flottant de l’IA générative : une machine à images, à rêves, à simulacres. Ici, les artistes (Grégory Chatonsky, Hito Steyerl, Agnieszka Kurant, Christian Marclay…) manipulent les réseaux neuronaux comme des pinceaux : ils reconstruisent des mémoires disparues, rejouent des mythes esthétiques, interrogent les biais implicites des datasets (peaux claires, visages lisses, stéréotypes dominants).

Mais ce n’est pas une fête de la technologie : c’est une déconstruction critique. L’image générée n’est jamais neutre. Elle est toujours culturelle, politique, orientée.

Apprendre à voir, c’est aussi apprendre à douter

Tout au long du parcours, des outils sont proposés pour affûter le regard :

  • repérer les artefacts générés (flous, géométries étranges…) ;
  • interroger les prompts invisibles derrière chaque image ;
  • déconstruire les normes esthétiques imposées par les IA ;
  • comparer avec les archives historiques, dans une tension permanente entre vrai et vraisemblable.

L’art devient ici école du doute. Une école précieuse à l’heure où les IA s’invitent dans le journalisme, la politique, la mémoire collective.

Un art qui pense, une pensée incarnée

C’est sans doute la force de cette exposition : ne pas se contenter de montrer, mais faire penser en montrant.

Les œuvres sont belles, parfois dérangeantes, souvent puissantes. Mais surtout, elles nous renvoient la balle : et nous, comment voyons-nous ? Que croyons-nous voir ? Et à quoi avons-nous renoncé en laissant la machine faire à notre place ?

Le Monde selon l’IA n’est pas une célébration, ni une dénonciation. C’est un espace critique, un champ de tensions fécondes entre imaginaire algorithmique et conscience humaine. Un lieu pour s’inquiéter, pour comprendre, pour résister. Et pour commencer à voir autrement.

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.