Les Fils de Sam : histoire d’une conviction obsessionnelle

affiche de la série documentaire The Sons of Sam

Décembre 1975 – août 1977 : durant presque deux ans, David Berkowitz fait trembler New-York en assassinant des jeunes couples à coups de calibre 44. Il commente ses crimes au fil de lettres aussi énigmatiques qu’effrayantes adressées à la presse. Insistant sur le fait qu’il est téléguidé par le démon caché dans le corps du chien noir de son voisin, il en profite pour se baptiser The Son of Sam, le Fils de Sam, à grand renfort de symboles pseudo-nécromants, entrant ainsi dans le panthéon des grands serial killers américains. À moins qu’il ait eu des complices ? C’est la théorie avancée dans la série documentaire Les Fils de Sam.

La quête de Maury Terry

Séquencé en quatre parties, ce feuilleton coup de poing, intitulé en anglais The Sons of Sam: A Descent into darkness, détaille par le menu la quête obsessionnelle du journaliste Maury Terry qui va consacrer sa vie à pourchasser les fils de Sam. Selon lui donc, Berkowitz n’aurait pas agi seul, mais en lien avec une secte satanique dont les membres auraient voulu orchestrer un climat de chaos précédant l’Apocalypse. Vaste programme donc, qui va amener le reporter à traverser les USA de part en part, afin de reconstituer le cheminement de Berkowitz et ses prétendus acolytes. À la clé, un best-seller intitulé The ultimate evil édité en 1989 qui sert de fil directeur au récit du réalisateur Joshua Zeman.

Une narration au rythme haché et hypnotique, bourré d’archives et d’extraits d’interviews, dont celui de Berkowitz lui-même, plusieurs années après les faits. Le tout diffusé par Netflix qui complète ainsi son catalogue de true crimes, avec un petit bémol toutefois. L’adjectif « true », « vrai » en français, demande à être clairement nuancé. C’est bien une lecture partisane des faits qui est proposée, jamais étayée par des preuves tangibles. Occultant des pans entiers de la vie et du profil psychologique de Berkowitz, Fils de Sam ne met en exergue que les éléments allant dans le sens d’un complot.

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Des zones d’ombre malsaines

Il efface de fait le profil du tueur (le choc d’apprendre que sa mère naturelle était vivante et non pas morte en couches comme ses parents adoptifs le lui avaient fait croire, l’abandon traumatique du père, l’usage abusif du LSD, les antécédents de violence et tentatives d’homicides), passe à côté des analyses de profileurs effectuées au moment de la création du VICAP (le programme de détection mis en place par John Douglas et ses collègues du FBI, évoqué du reste dans Mindhunter) pour se concentrer uniquement sur la version de Maury Terry. Version qui a le mérite de mettre en avant des zones d’ombre pour le moins malsaines.

Sons of Sam évoque avec justesse le vent de panique suscité par les meurtres, la psychose généralisée alimentée par des médias avides de scoops et de sensations, les failles de l’enquête policière consécutives au manque de moyens, d’effectifs et aux pressions politiques de la part du maire de New-York. Ajoutons à ce terreau déjà méphitique la prolifération de cultes sataniques au mitan des années 70, la mémoire des massacres perpétrés par les adeptes de Charles Manson. Le cocktail obtenu peut légitimement alimenter toutes les angoisses, accoucher des peurs les plus primales, encourager les analyses les plus scabreuses.

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Manque de recul

Si le documentaire est loin de convaincre quant à sa version des faits, il met en évidence la manière dont on peut rapidement verser dans une thèse complotiste, s’y accrocher, la défendre bec et ongles, quitte à y laisser sa réputation et sa santé. Maury Terry consumera son existence à la poursuite d’une vérité qu’il ne pourra jamais prouver de manière solide. Le passage où il rencontre un Berkowitz converti à l’évangélisme au fond de sa prison fait froid dans le dos : voulant à tout prix obtenir les aveux du meurtrier, le journaliste lui souffle des réponses que son interlocuteur, en manipulateur consommé, exploite immédiatement.

Aucun recul, aucune confrontation avec les preuves : une fois de plus, Netflix mise sur le spectaculaire et l’émotionnel, au mépris de la vérité des faits pourtant retracée dans nombre de récits d’enquête, de livres de psychologie. À ce titre, le livre Fils de Sam de Michael Mention était bien plus pertinent, parce qu’il assumait clairement sa part de fiction. Le documentaire Fils de Sam est à aborder avec autant de précautions : ce n’est pas LA vérité (existe-t-elle seulement ?), mais la conviction d’un homme. Cette dernière aurait mérité d’être complétée, approfondie, vérifiée, voire contredite à partir d’éléments tangibles.

Et plus si affinités

Vous pouvez visionner le documentaire Fils de Sam sur Netflix.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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