Control d’Anton Corbijn – Joy Division de Grant Gee : deux regards sur une légende

ControlJoy Division … A travers ces deux films, ce sont deux visions du groupe mythique qui s’affrontent. Car ce sont d’abord deux personnalités différentes qui ont travaillé sur ce même sujet.

Deux personnalités

Anton Corbijn est né en 1955 aux Pays-Bas et rien ne pouvait laisser présager qu’il réaliserait et produirait un jour un film sur Joy Division. Si sa passion initiale est la musique, au lycée il se tourne vers la photographie et se lance dans les photos de concerts avec l’appareil de son père… En 1979, il part vivre en Angleterre pour la seule et unique raison qu’il était tombé sous le charme de Joy Division … Depuis, Corbijn a toujours réussi à joindre sa passion musicale à celle de la photo en réalisant de nombreux clips mais aussi des pochettes d’albums pour les plus grands groupes comme Depeche Mode, U2, R.E.M., The Rolling Stones, JJ Cale, Nick Cave ou encore Bruce Springsteen

En face, Grant Gee. Lui aussi réalisateur de films et de clips musicaux, Gee est devenu une légende grâce à ses collaborations multiples avec les plus grand groupes de ces 20 dernières années comme Radiohead (No Surprises), Coldplay (Shiver), Blur (Tender) ou encore Gorillaz (White Light). Mais sa notoriété ne s’est pas bâtie uniquement grâce à des clips vidéos. Il a aussi réalisé Meeting People is Easy, documentaire datant de 1998 consacré à la tournée de Radiohead suivant la sortie de l’album Ok Computer. Cet artiste difficile à cerner a aussi fait des « films expérimentaux » sur la danse (Torsion) ou sur John Cale au travail (JC-03).

Des approches personnelles

Si ces deux personnalités ont comme point commun la passion de la musique, et surtout celle de Joy Division, leurs approches du « sujet » sont tout à fait personnelles. Avec Control, sorti en septembre 2007 et nommé à la « Quinzaine des Réalisateurs » du Festival de Cannes 2007, Anton Corbijn tente de ramener dans la lumière l’histoire encore trop peu connue d’un groupe certes éphémère (3 ans de vie à peu près) mais pourtant capital dans l’évolution de la musique post-punk. Il a travaillé uniquement en noir et blanc car ces couleurs lui rappelaient les photos des années 70 grâce auxquelles il avait découvert Joy Division.

Ce projet aurait pu ne jamais aboutir. Orian Williams, le producteur du film a commencé à penser à ce film en 1997, après avoir acheté le livre Touching from the distance écrit par Deborah Debbie Curtis, la femme de Ian Curtis, frontman de Joy Division. Après avoir laissé traîner ce livre dans sa voiture, c’est un ami qui lui en reparle. Et c’est là que l’aventure commence. Les droits sont rachetés* à la famille de Ian Curtis et tout est prêt. Enfin presque… Il faut encore organiser le casting et trouver un réalisateur. Anton Corbijn avait été contacté avant l’obtention des droits, mais les premières approches s’étaient montrées infructueuses. En effet, le réalisateur ne souhaite pas faire de films « musicaux ». Mais Orian Williams ne lâche pas l’affaire et les droits acquis, il s’attelle à nouveau aux négociations avec Corbijn. Et c’est à un déjeuner en 2004 que, convaincu de relire le livre de Debbie Curtis, il accepte la proposition.

Souci de réalisme

Le 7 mai 2005, la décision est rendue officielle tout comme le fait que le film est en tournage. Le titre est choisi par Anton Corbijn à partir de la chanson « She lost control » … Si le film est une adaptation du livre Touching from a distance, la véracité des propos dans le film n’est pas à démontrer. Le film est même sans doute encore plus véridique que le livre. En effet, Anton Corbijn et Orian Williams ont souhaité s’approcher au plus près de la réalité en faisant apparaître le rôle de toutes les personnes qui ont constitué l’entourage du groupe. Par exemple, différence notable, Annik Honoré, la maîtresse de Ian Curtis est très présente dans le film et quasiment absente du livre…

Toujours dans un souci de réalisme, le film est tourné à Nottingham dans les Midlands. En effet, Manchester ayant trop changé pour pouvoir retranscrire l’ambiance de l’époque, l’équipe est partie à la recherche d’un endroit capable de transmettre l’odeur du béton, la routine ouvrière, et le vague à l’âme inhérent aux années 70 dans le nord de l’Angleterre. Mais la quête du réalisme s’arrête là, aussi surprenant que ça puisse paraître devant le mimétisme de l’acteur jouant le rôle de Ian Curtis.

Sortir du lot

Pour le casting, Williams et Corbijn confessent que la ressemblance de l’acteur n’était pas une qualité réellement recherchée… Pour autant, Sam Riley, chanteur du groupe 10 000 things et originaire de Leeds joue à la perfection le rôle de son glorieux prédécesseur. La tristesse, l’impossibilité de parler de ses démons, la maladie, sont autant de traits difficiles à communiquer. Et pourtant… Riley est éblouissant, sort vraiment du lot.

Même si ce film n’a pas été bâti comme une biographie du chanteur, il n’en demeure pas moins qu’il est le personnage principal du film. La suite est simple, le film est parfaitement orchestré, Anton Corbijn fait part de des émotions qu’il a lui même connues à l’époque. Le noir et blanc apporte au film la dose de dépression nécessaire à la compréhension du mal-être de Curtis, mais aussi de ses congénères qui n’arrivent pas à le saisir. A ne pas regarder un dimanche soir pluvieux…

Document d’époque

Le documentaire de Grant Gee adopte une approche tout à fait différente. Déjà, le fait que ce soit un documentaire lui permet de se libérer des obligations scénaristiques que peut provoquer le format de film. Mais en plus, le contenu de ce documentaire est construit grâce à des images d’époques (et d’aujourd’hui), et surtout grâce à la présence de tous les personnages qui ont pris place dans l’élaboration de cette légende Joy Division : Peter Hook, Bernard Sumner, Annik Honoré et même… Anton Corbijn ! Ce dernier apparaît ici en tant que « grand photographe rock » même si cette image ne lui convient pas : « Aujourd’hui en Angleterre, je suis photographe rock alors que je ne suis que photographe » confessait-il avant de réaliser Control.

La présence des contemporains de Ian Curtis permet à ce documentaire de faire entrer le spectateur dans l’intimité du groupe et de mieux comprendre le contexte et les évènements qui ont mené à la perte de leur chanteur. C’est donc un document quasiment « d’époque » comme si Gee était parvenu à prendre la température du groupe sur l’instant. C’est donc naturellement que ce documentaire a lui aussi été adoubé par la critique au moment de sa parution en 2009. Pour autant, il est nécessaire de préciser que ce documentaire en anglais non sous-titré est plutôt destiné à un public averti, et déjà adepte du groupe de Maclesfield. Mais il est indéniablement plus poussé que le film d’Anton Corbijn. Normal, c’est un documentaire…

Ces deux réalisations ne sont finalement pas vraiment comparables, de par leur construction mais aussi leur public. Control apparaît comme un premier pas sur les traces du groupe tandis que Joy Division constitue l’aboutissement d’une curiosité. Ce qui vaut le détour : comme une étoile filante dans la tête d’un enfant, Ian Curtis a brillé, seulement un temps, mais a marqué de son empreinte l’émergence de la musique d’aujourd’hui. Dignes héritiers de Joy Division, The Killers, Interpol, Pojekt, Komakino, sont autant de groupes puisant leur inspiration dans les fondations du post punk, de la New Wave….

Lenny ROYER

The ARTchemists

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