Monster : The Ed Gein story … ce que mérite l’Amérique

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Nous avions littéralement dévoré Monster 1 et 2, respectivement consacrés aux parcours meurtriers de Jeffrey Dahmer et des frères Menendez. Autant vous dire que l’annonce du troisième volet de la série dédié à Ed Gein nous a mis sur les dents. 2 octobre 2025 : lancement des épisodes ; 3 octobre début du visionnage ; 5 octobre, bouclage du visionnage ; 6 octobre revisionnage du Silence des agneaux. Ça vous l’a fait aussi ? Normal. Le binôme Murphy/Brennan a, comme à son habitude et avec la maestria qu’on lui connaît, exploré comment une histoire sordide a engendré un mythe. Avec en toile de fond une réflexion sur ce mérite l’Amérique de Trump. Et cela n’a rien de glorieux.

Atrocités de proximité

Ed Gein donc : un discret fermier issu de l’Amérique profonde, coincé entre les interdits érigés par une mère castratrice avec laquelle il tisse une relation fusionnelle au-delà du concevable et des fantasmes de dépeçage et de nécrophilie. Maman meurt : Ed, dévasté, perd son seul garde-fou (dans tous les sens du terme) et passe à l’acte, depuis le viol de cadavres jusqu’au meurtre en passant par la fabrication de meubles en peau et os humains.

Les flics qui vont finalement l’appréhender auront du mal à s’en remettre. Les médias se saisiront de cette affaire qui aura un écho international : dans les années 50 en voie de rémission après une seconde guerre mondiale horrifique, on n’imagine même pas qu’un Ed Gein puisse exister et commettre semblables atrocités dans sa cuisine à proximité du centre d’une petite ville du Wisconsin où tout le monde se connaît. Et pourtant…

Autopsier la psyché américaine

Cette histoire va s’enraciner dans la culture américaine, influençant des générations de tueurs en série qui rendront hommage à Gein comme à la matrice originelle de leurs barbaries, ET une floppée de réalisateurs s’emparant de ce fait divers pour le raconter en sanglantes images qui vont transformer le cinéma (à moins que ça soit l’inverse ?). Psychose d’Hitchcock, Massacre à la tronçonneuse de Hopper, Le Silence des agneaux de Demme : trois monuments filmiques, trois séismes artistiques, trois grandes mutations dans le regard des spectateurs.

Pas étonnant que Murphy/Brennan, qui, rappelons-le, ont accouché de la superbe minisérie Hollywood, se penchent sur le devenir de la fable Ed Gein, ajoutant au passage des clins d’œil à Maniac ou Mindhunter. Désireux qu’ils sont d’autopsier la psyché américaine dans ce qu’elle a de plus tortueux, de plus vénéneux, ils ne pouvaient ignorer pareille source. Encore moins la raconter sans y mêler esthétique, humanité et poésie (la déclinaison à l’œuvre dans la saga American Horror Story).

Pénétrer la réalité d’une démence

Teintes verdâtres et lumières tamisées, nuances de cadavre en putréfaction, gros plans sur les mains qui caressent les chairs mortes, les doigts qui cousent des peaux de femme, les pupilles qui se dilatent devant des images de sévices, Murphy/Brennan mettent en scène l’atroce du point de vue d’un Gein bercé/rongé par ses visions, ses angoisses, ses désirs. C’est aussi insupportable que superbe, poignant même, et particulièrement perturbant. Car, ce faisant, Murphy/Brennan nous rappellent que ce type martyrisé par une mère fanatique et elle-même dérangée, souffrait de schizophrénie.

Ne pas excuser, ne pas magnifier, pénétrer la réalité d’une démence. Facile à dire, plus compliqué à faire : Charlie Hunnam campe un Ed Gein contre toute attente charismatique, dont on n’arrive jamais à déterminer s’il est un peu benêt ou profondément manipulateur. Autour de lui une palette d’acteurs également impliqués, dont Tom Hollander en Hitchcock dévoré par le monstre filmique qu’il engendre, Will Brill, frénétique Tobe Hopper, ou Vickie Krieps, terrifiante Ilse Koch. Le casting est impressionnant, de même le travail de reconstitution des décors et des costumes, les effets spéciaux, les maquillages, la photographie, les cadrages, le montage.

Gein, miroir intemporel des peurs de l’Amérique

Effet d’harmonie pour conter le chaos d’un esprit médiocre rongé de démence et évoluant dans un monde parallèle et mortifère où la violence perturbe les genres. Avec Monster : The Ed Gein story, Murphy/Brennan ajoutent leur pierre à l’édifice qu’ils tentent de démonter. Ironie du sort : si, comme le dit si bien Hopper, Gein inspire les films que l’Amérique mérite, tendant ainsi un miroir à ses terreurs le plus profondes (menace nucléaire, guerre du Vietnam, crise économique…), alors quelles peurs modernes ce nouvel opus de la série Monster dénoncent-elles ?

Les USA de Trump, masculinistes, fondamentalistes et rétrogrades, s’acharnent sur les opposants, les migrants, les femmes, les homosexuels, les transsexuels. Schizophrénique, le pays de la démocratie tourne à la dictature à coup de censure et de discrimination. Combien de Ed Gein à la clé de cette plongée dans les eaux troubles du rigorisme religieux où il ne fait pas bon être une femme ou avoir changé de sexe ? Gein, obsédé par le corps des femmes au point de leur arracher la peau pour s’en faire un costume, s’en masquer le visage, n’est pas le transsexuel frustré qu’on a imaginé mais un gynéphile tellement obsédé par la féminité qu’il la pénètre intégralement.

Homme parasite et fascination du true crime

La démembre, l’écorche, la recompose à sa façon pour s’y glisser et y vivre. Peau d’Âne version homme, Hercule recouvert d’une défroque féminine : un homme parasite, adulescent qui détruit les femmes jusqu’à s’emparer de leur être, de leur visage, de leurs formes. Plus qu’un boucher, un ogre mu par ses hallucinations, ses pulsions et qui pour jouir a besoin d’une femme froide, silencieuse, soumise. Morte. Aucun recul, pas de remord, le regard absorbé par les magazines illustrant la barbarie nazie sous toutes ses formes.

Difficile de ne pas faire le lien avec le règne des images modifiées par l’IA, images qui inondent nos fils d’actu et entretiennent notre FOMO. La référence à Weegee, photographe new-yorkais qui a dépeint la vie nocturne de Big Apple y compris ses côtés scabreux et sanglants n’est pas anodine. La fascination de Gein et de sa petite amie pour les scènes de meurtre non plus. Alors que le true crime est plébiscité, Murphy/Brennan interrogent cette fascination malsaine et le business qu’elle génère, l’effet Ed Gein qu’elle alimente.

Certains diront que la série, composée de huit épisodes, est trop longue, chronologiquement bordélique. C’est qu’il ne s’agit guère de raconter des faits qui tiennent sur un timbre-poste ou presque. D’ed gein en soi, il y a peu à dire sinon que c’était un tueur dément. Mais c’est l’impact durable qu’il a sur la mémoire américaine qu’il imposte ici d’ausculter. Et la love story sado-maso des USA pour le boucher de Planinfield a de quoi interpeler les consciences. Ce que Murphy/Brennan font avec beaucoup de pertinence et un plaisir non feint.

Et plus si affinités ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com