
Sinners : je tombe sur la bande annonce au détour d’un post Facebook, je craque, je visionne. Et je reste dubitative devant cet OVNI cinématographique qui croise film d’horreur, chronique sociale et comédie musicale. Ai-je aimé ? En tout cas j’ai été interpellée. Explications.
Vampires mélomanes
Sinners : les pécheurs. Terme fort, surtout dans les églises du Mississippi où les Noirs tâchent de fuir leur condition en se réfugiant dans la foi. Ou la musique. Nous sommes dans les années 20 : les jumeaux Elijah « Smoke » et Elias « Stack » reviennent dans leur ville natale, au milieu des champs de coton. Vétérans de la Première Guerre Mondiale, ils sont ensuite passés par Chicago pour s’enrichir en bossant avec la pègre. Ils reviennent au bercail avec la ferme intention d’ouvrir un dancing pour attirer les jeunes du coin qui veulent se divertir.
Pour ce faire, ils misent sur le cocktail musique + dance + alcool + jeu + sexe. Et engagent entre autres Sammie Moore, un jeune guitariste génial. Le soir de l’ouverture, ils affichent complet. Un vrai succès. C’est sans compter avec l’arrivée d’une bande de vampires menée par le fringant et très mélomane Remmick qui a bien l’intention de transformer/convertir tout ce petit monde, y compris et surtout ce petit prodige de la guitare dont le talent attire les démons.
Le pouvoir duel de la musique
Aux commandes du projet et derrière la caméra, Ryan Googler à qui l’on doit Black Panther et Creed, devant l’objectif Michael B. Jordan, Hailee Steinfeld, Delroy Lindo ou Jack O’Connell (génial dans le rôle de Remmick). L’ensemble ne manque guère de talent ou de conviction pour développer cette histoire qui mêle Une nuit en enfer, La Couleur pourpre, Mississippi Burning et The Get down dans une atmosphère électrique et réjouissante à plus d’un titre.
Non que l’intrigue en elle-même soit exceptionnelle. Le thème de la petite communauté humaine assiégée par la horde vampirique est un classique depuis l’incontournable Je suis une légende de Richard Matheson ou le mythique Salem de Stephen King. Mais en narrant ce conte horrifique, Googler interroge le pouvoir duel de la musique, maléfique ou divine, peut-être les deux confondues ?
Melting pot
Et s’appuie sur la légende de la naissance maléfique du blues (le prétendu pacte avec le Diable signé par le guitariste et bluesman Robert Leroy Johnson sur un chemin dans les années 20) pour célébrer les racines du rock, du rap, du hip-hop, des musiques folkloriques d’Afrique, de Chine ou d’Irlande dans deux séquences de danse tenant de la transe collective qui passeront selon moi dans les annales du cinéma et qui justifient amplement de visionner ce long-métrage.
A l’heure où les USA tournent à la dictature qui ne dit pas son nom, où Trump et ses séides mènent une politique raciale infecte, Sinners rappelle que la culture américaine s’enracine aussi bien dans les croyances indiennes que dans le patrimoine vaudou apporté par les esclaves dans les cales des bateaux négriers. Et qu’on le veuille ou non, c’est ainsi. Personne, ni une bande de vampires assoiffés d’hémoglobine et de bon son ni le Ku Klux Kan (qui se prend d’ailleurs une raclée bien méritée au cours du film) ne pourront effacer ce melting pot.
S’affranchir du système
Certes le film présente quelques longueurs, certaines maladresses. On aime ou on n’aime pas. Mais le propos est clair : marre de se faire défoncer sans réagir par les racistes ou les goules, ce qui revient au même, des créatures qui en exploitent d’autres. Un air de déjà vu ? Rappelez-vous La Nuit des morts-vivants de Romero ; nous sommes en 69, en pleine lutte pour l’égalité raciale et le héros du premier grand film de zombis est interprété par Duane Jones, un acteur noir.
Un des premiers coups de canon de la blaxploitation des années 70 qui connaît aujourd’hui un renouveau salutaire et nécessaire avec Sinners. Un film que Googler a pu réaliser sans la pression des producteurs, sans avoir à couper de séquence, et dont il a touché les bénéfices dès les premiers dollars engrangés. Exceptionnel dans une industries mise en coupe réglée par les studios, et une manière de s’affranchir du système qui devrait faire date.
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