Salem de Stephen King : bien plus qu’un roman horrifique !

Des romans d’horreur, ce n’est pas ce qui manque. L’industrie est prolixe au même titre que la prod de polars ou de mangas. On a les grands classiques du genre type E.A. Poe, Stoker, Lovecraft et compagnie, on a les jeunes pousses et puis il y a Stephen King. Depuis les années 70, il domine avec une bibliographie sidérante d’inventivité et d’émotions, étudiées désormais en université, fruit de thèses avec un taux record de ventes. Au milieu de cette abondante production, un roman se détache, à mes yeux du moins. Salem.

Un parfum de mort

Salem donc. Le diminutif de Jerusalem’s lot, une petite bourgade de l’Amérique profonde, paumée quelque part dans le Maine, cet état chéri de l’auteur qui y situe pratiquement tous ses bouquins. Dans cette ville de campagne, tout le monde se connaît. Tout le monde s’entraide. On vit un peu en vase clos, avec des plans de carrière tout tracés : enfance, école, lycée, job, mariage, enfants, vieillesse, décès. Peu s’échappent vers la grande ville. Ben Mears fait partie de ces chanceux ; pourtant, à l’orée de la quarantaine, il revient. Objectif : écrire un livre sur cette bourgade dont il devine les horribles secrets. Car des secrets, Salem en cache beaucoup.

Violences, manipulations, meurtres, suicides… les archives municipales en disent plus long que les habitants sur un passé tourmenté. Et puis il y a Marsten House. Installé sur sa colline, le manoir en ruines surplombe la ville tel un prédateur guettant sa proie. De ces murs lépreux émane un parfum de mort, de destruction, d’apocalypse. Pourtant, Mears tout juste débarqué en ville, apprend que ce lieu pour le moins inhospitalier vient de trouver acquéreurs. Deux mystérieux antiquaires, Straker et Barlow, viennent de s’y installer, ouvrant par ailleurs boutique sur la rue principale. Straker, charmant, mais froid, Barlow invisible. Et avec eux commencent les problèmes. Les disparitions. Les morts suspectes. Puis l’épidémie.

Ressentir l’Inconcevable

J’ai passé la barre des cinquante ans, néanmoins je garde en mémoire cette lecture qui date de mon adolescence. Une mémoire vive doublée d’une sensation forte, un malaise indéfinissable, une hypnose irrépressible. Salem (Salem’s lot dans la langue d’Ambrose Bierce) est LE SEUL récit horrifique qui m’a fait cet effet. Un effet terrifiant : pendant quelques pages, j’ai été convaincue, certaine de l’existence du Mal. King, ce diable d’auteur, a réussi en quatre paragraphes à me faire embrasser comme véridique et incroyablement dangereux ce qui relève du fantastique, de l’imaginaire, de la croyance. Il fallait le faire, sachant que cet effet dure dans le temps. Malgré les décennies, les années qui passent, les technologies qui évoluent, son récit demeure puissant, prenant, oppressant.

Parce qu’il parle de gens comme nous, confrontés à l’innommable et qui doivent : 1. l’accepter 2. le comprendre 3. le combattre 4. l’anéantir. Peu importe le prix à payer. Face à la Mort en marche, ils sont une petite poignée à faire barrage, avec les moyens du bord. Face à eux, un rouleau compresseur qui œuvre dans l’ombre d’une maison pourrie, véritable générateur maléfique. King alterne portraits touchants d’une humanité perdue dans son petit confort, ses désillusions, ses doutes et évocation particulièrement angoissante et éloquente du Mal à l’œuvre. Jonglant sur des descriptions serties avec une précision d’horloger, une convocation complète des sens, une montée progressive à une révélation dont les signes avant-coureurs sont pourtant palpables, King donne à ressentir l’Inconcevable.

Salem date de 1975, il n’a pas pris une ride. De la première à la dernière ligne, ce roman demeure un exemple de la force évocatrice du verbe fondateur. Maison hantée, vampires, fantômes, tueurs sadiques ne sont qu’un point de départ pour générer chez le lecteur quelque chose de l’expérience mystique. Un périple en eaux troubles dont on ressort différent, marqué à vie. Et cela dépasse de loin le cadre de la littérature fantastique pour embrasser l’horizon plus vaste de l’expression artistique comme valeur universelle fédératrice.

Et plus si affinités

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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