Sextoy par temps de COVID : la grande offensive d’un saule pleureur ?

sextoy canard

16 février 2021 : Saint Valentin J+2 par temps de COVID. Des amoureux séparés par la distanciation pour les uns, parqués en confinement pour les autres. Et une love fiesta contrainte de se réinventer comme le reste, alors que restaurants, hôtels, voyages sont prohibés. Que reste-t-il de nos amours ? Le sextoy !!!! Grand vainqueur du combat pandémique selon les statistiques, petite révolution des mœurs à l’œuvre face au SARS CoV2, manne commerciale dans un paysage économique en berne … et nouveau marronnier fièrement dressé dans un ciel médiatique pâlichon. A moins que ce ne soit un leurre ?

Sextoys déconfinés

Bon, ce n’est pas le tout, mais si on partait du début du commencement de cette intense réflexion au pays du godemichet ? En l’état, deux études signées Kantar et IFOP, commentées par les médias ces deux dernières semaines dans la perspective d’une Saint Valentin 2021 soudainement très coquine en dépit des circonstances. Premier indice : un article extrait de Sudouest en date du 3 février 2021. Intitulé « Covid-19 : boulot, vibro, dodo… quand la pandémie déconfine les sex-toys », son introduction est sans appel : «La distanciation imposée par la crise sanitaire a fait exploser les ventes de sex-toys, qui se sont banalisés auprès des célibataires comme des couples.»

Le tout s’appuie sur les données récoltées par Kantar, entité incontournable de l’étude de marché, qui met en lumière de bien beaux résultats … de même que l’IFOP, glorieux institut de sondage missionné par l’enseigne érotique Passage du désir pour réaliser une enquête du même type, enquête relayée par la presse dans les jours précédents le 14 février. Croiser les conclusions de ces deux investigations est on ne peut plus réconfortant d’un point de vue business avec une nette explosion des ventes de sextoys sur l’année 2020 toutes marques confondues (multipliées par deux dans l’Hexagone, par trois à l’échelle planétaire). Saupoudrées sur ce triomphe, deux trois autres données particulièrement joyeuses pour les pauvres pandémiques que nous sommes devenus.

Sextoys à tout âge

51% des personnes âgées de 18 à 69 ans auraient déjà utilisé un sex-toy au cours de leur vie ; on soulignera volontiers l’enthousiasme de plus en plus marqué et intergénérationnel pour les petits jouets du plaisir … et on s’interrogera :

    • Rien sur une pratique adolescente (rappelons que la Gen Z, précoce en diable, balance sa virginité par dessus les moulins vers 16,2 ans selon un rapport ZAVA cité par le magazine Parents, et s’éduque sexuellement dés 14,3 ans en passant son temps devant les films pornos où le sextoy abonde, sous des formes souvent extravagantes).
    • Rien non plus sur les besoins de nos seniors qui demeurent fringants passé les 70 piges, malgré la méno-andro-pause, si l’on en croit Le Guide Santé qui annonce : «40 % des hommes et 15 % des femmes de 75 à 85 ans ont déclaré avoir eu au moins un rapport sexuel dans les 12 derniers mois. Pour ceux conservant une sexualité, 50 % des hommes et des femmes de 75 à 85 ans ont eu deux à trois rapports sexuels par mois». Avec ou sans sextoy ?

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Femme, homme, seul ou à plusieurs

Quoi qu’il en soit, les messieurs semblent s’y convertir autant que les dames, dans un grand élan paritaire vers la jouissance. Eh oui, c’est possible : tous égaux devant l’orgasme, et merci au vibromasseur d’encourager le dialogue entre les genres, mettant ainsi entre parenthèse la guerre des sexes le temps d’une partie de jambes en l’air (ou à l’horizontal, on est ouvert à toutes les possibilités). On aurait aimé avoir des données complémentaires sur les pratiques hétéro, gay, fétichistes et autres tendances, mais pas de panique, les progrès de la data science nous apporteront bientôt des réponses affûtées pour améliorer l’offre B to C afin de renforcer les stratégies marketing one to one et inonder nos smartphones de textos promotionnels vantant une armada de sextoys rutilants adaptés à notre point G, où qu’il se trouve.

Autre révélation de ces études : le sextoy se pratique en solitaire, en couple, peu importe la classe socio-professionnelle, qu’on soit en ville ou à la campagne ; aucune donnée sur une utilisation en trouple et plus si affinités. On se doute cependant que la perspective d’un usage en collectivité doit en séduire plus d’un, mais par temps de couvre-feu, avec interdiction des rassemblements, gestes barrière, port du masque et désinfection des mains obligatoires, ce n’est pas forcément le plus simple à organiser. En l’état, soulignons que les clubs échangistes en ont pris un coup dans l’aile avec les restrictions (tout comme le monde de la nuit en général), et que les soirées privées se multiplient dans la clandestinité … où chacun amène ses jouets pour s’amuser avec les autres ?

Des jouets pour tous les goûts

Cette consécration n’a du reste rien de soudain, elle n’est qu’une victoire supplémentaire dans un combat de longue date. Déjà en 2018, le sujet faisait vibrer les médias, parfait miroir des avancées du secteur. Tapez en fenêtre de recherche Google la requête « sextoy 2018 », vous serez édifiés. Godemichés connectés, recyclage de sextoys usagés, chasses au dildo et autres events organisés par les marques spécialisées pour convertir un public de moins en moins farouche, l’offensive avait déjà commencé, avec en ligne de mire une démocratisation fort lucrative (Christophe Manceau, directeur de la division média du cabinet Kantar, parle quant à lui de pornoïsation de la société, terme un chouia outré quand il s’agit avant tout de libération de la parole pour faire tomber les tabous de la masturbation et du plaisir).

Une libération dont les marques ont su jouer en diversifiant le concept pour le rendre trendy : formes diverses et ludiques (clin d’œil au canard, au lapin et autres cactés vibratoires), couleurs acidulées de bonbons anglais, éclairage néon pour un effet nightclub 80’s – et que dire du simulateur clitoridien et lampe de chez Biird … Il y en a pour tous les goûts, sans parler des saveurs, des textures, des tailles quelquefois pharaoniques. Et puis il y a désormais l’Intelligence of Thing (IoT pour les intimes) et les applications qui permettent un usage connecté très high tech pour la plus grande joie des couples frappés par l’éloignement (sur les douze derniers mois, la requête « sextoy connecté distance » a bondi de 350 % dans l’Hexagone selon Google Trends, ce n’est pas rien) … et les hackers qui adorent s’infiltrer dans les programmes de gestion à distance pour prendre en otage les parties génitales enfermées dans des ceintures de chasteté connectées, redonnant sens à l’expression consacrée par les brigands des temps jadis : « la bourse ou la vie ».

Pulsion de vie vs angoisse de mort

Une mésaventure qui tend à se généraliser, faisant le malheur des pauvres otages contraints de payer pour leur liberté phallique ou de passer à la disqueuse afin de s’extraire du dispositif au risque d’y laisser leur intimité. Sur ce point, les professionnels demeurent discrets, de même les études. Kantar se contente de chiffrer le marché du sexe à 50 milliards de dollars, dont la moitié dédiée au sextoy. Un chiffre attractif qui devrait frôler les 70 milliards dans les temps à venir. Il faut dire que les marques spécialisées n’y vont pas de main morte pour s’imposer, saisissant toutes les occasions de faire le buzz. Et le confinement fut une aubaine dans cette course à l’échalote orgasmique.

On se souvient des opérations de séduction embrayées par Marc Dorcel, PornHub et Jacquie et Michel, qui en mars de l’année dernière, ouvrirent généreusement leur accès premium aux millions de pauvres confinés terrés chez eux dans la crainte et l’ennui. Pulsion de vie vs angoisse de mort, les inscriptions ont explosé, ramenant le plein de données à exploiter et une foultitude d’e-mails à relancer une fois le confinement bouclé … On devine le côté hypnotique du porno en continu, on imagine la ruée d’abonnements une fois terminée la période de gratuité, on redoute le glissement du récréatif à l’addictif. Là aussi, tapez la requête « addiction au porno » dans Google, vous ne serez pas déçus. Si les marques surenchérissent pour gagner le cœur de nouveaux clients convertis au sextoy par la force covidienne des choses, les médias eux-aussi surfent sur cette vague.

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Sextoy et gros marronnier

Disons-le clairement, le sextoy est devenu le gros marronnier indiquant la forêt des Carnutes d’un sujet désormais mainstream. Pour mémoire, le marronnier désigne, comme l’explique Wikipédia du haut de 20 années d’expertise numérico-encyclopédique, ce «reportage d’information de faible importance meublant une période creuse, consacré à un événement récurrent et prévisible ». Il y a peu, la Saint-Valentin était prétexte à valoriser chocolats, fleurs, champagne et lingerie fine, dans les articles, chroniques, émissions comme dans les encarts publicitaires des médias, print et audio-visuels. Désormais, le sextoy sort des alcôves où on le cachait pour se positionner favorablement dans les pronostics et les rayonnages (dixit Marc Dorsel installant ses produits chez Monoprix pour Noël 2020), grâce aux influenceurs, aux comptes Insta consacrés à l’éducation sexuelle … et aux études orchestrées par des enseignes désireuses de se positionner en expertes quasi scientifiques de nos sexualités mutantes.

C’est du reste le but des commandites d’études quanti/quali que de permettre aux marques de s’infiltrer dans les médias, non plus comme des annonceurs mais comme des vecteurs d’information … et des leaders d’opinion ? C’est en tout cas une manière subtile de briller autrement que par une pub, tout en gagnant la confiance de futurs consommateurs séduits par tant de précision, et rassurés par un relais journalistique qui demeure fiable dans les esprits, malgré le déficit de confiance d’une partie de l’audience et la montée des organes de presse indépendants. C’est aussi l’occasion inespérée de noyauter en force des événements incontournables du calendrier, déjà bien commercialisés du reste, mais dont on ne voit pas pourquoi on ne ferait pas muter l’ADN marketing.

Sextoy : un saule pleureur en devenir ?

Problème : que cache vraiment ce succès ? Ce magnifique marronnier du plaisir n’est-il pas un saule pleureur en devenir ? Nous évoquions l’explosion des addictions à la pornographie qu’il conviendrait de chiffrer parmi les dommages collatéraux de la pandémie. Mais il faudrait également parler des ruptures et des divorces dont le nombre augmente de manière significative ; en décembre 2020, le cabinet d’avocats anglais Stewarts dénonçait une augmentations de 122% des demandes de séparations sur le troisième trimestre de l’année. Inscrivez « augmentation divorces covid » en recherche Google, vous constaterez que le sujet revient en continu. Une triste réalité à placer en regard de la démultiplication des ventes de sextoys … qui ne sont pas et ne seront jamais une solution pour réconcilier un couple en pleine crise.

C’est en tout cas un insight que les marketeux devraient éviter d’utiliser dans des stratégies de plus en plus offensives au sein d’un marché qui va vite devenir ultra-concurrentiel, si ce n’est pas déjà le cas. Or on sait que quand la concurrence est là, tous les coups sont permis. Si la démocratisation du sextoy constitue un excellent signe de libération des mœurs, d’acceptation du plaisir du corps dans le respect d’individus éclairés et consentants, une voie supplémentaire d’exploration de l’orgasme seul ou en couple, et plus si affinités, cette vulgarisation n’est en rien la solution à tous les maux de l’humain moderne confiné. Il convient de s’en souvenir pour conserver intactes toutes les joies ludiques de ces petites mécaniques de jouissance.

Et plus si affinités :

https://www.sudouest.fr/sante/coronavirus/boulot-vibro-dodo-quand-le-covid-deconfine-les-sex-toys-papier-d-angle-1185868.php?fbclid=IwAR09UxuyEK_HHC3AU3NbS-H1FJg7H4PP0v626YxNfeJsK-w6kz9JkMTRRuc

https://www.courrier-picard.fr/id162046/article/2021-02-03/avec-la-crise-sanitaire-les-ventes-de-sex-toys-explosent

https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/2020-annee-historique-pour-les-sex-toys-selon-une-etude-de-l-ifop-7900000885

https://www.ladepeche.fr/2021/02/10/un-francais-sur-deux-en-a-deja-utilise-un-une-etude-revele-le-succes-des-sextoys-9364758.php

http://www.slate.fr/story/198023/separation-couples-divorce-pandemie-covid-19-confinement

https://www.20minutes.fr/arts-stars/web/2742171-20200317-coronavirus-dorcel-pornhub-jacquie-michel-desormais-gratuits

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com