WeCrashed : le startuper, Icare version digitalo-ubérisée

série WeCrashed

Il y avait le tueur en série, le narcotrafiquant, l’escroc ; les séries trouvent désormais leurs héros dans le monde des start-up. Et cela n’est guère rassurant quant à la valeur économique de ce modèle porté aux nues. Nouvel exemple en date avec WeCrashed.

La création, la réussite et le fiasco de WeWork

Drivé par Lee Eisenberg et Drew Crevello pour le compte d’Apple TV+, WeCrashed nous raconte en huit épisodes particulièrement bien troussés la création, la réussite et le fiasco de l’entreprise WeWork. À l’origine de cet ambitieux projet, Adam Neumann, serial entrepreneur d’origine israélienne, qui, en pleine crise de l’immobilier, créée le concept d’espace de co-working. Secondé par son épouse Rebekah qui est également sa muse, il fonde un véritable empire, avant de s’employer à méthodiquement tout foutre en l’air. Une explosion licornesque en vol symbolisée par un générique assez génial, tout comme le reste de ce récit échevelé d’ailleurs.

Adapté du podcast WeCrashed: The Rise and Fall of WeWork hébergé sur Wondery (là aussi, il y aurait matière à méditer, les podcasts attirent de plus en plus les scénaristes en mal de création), cette minisérie confirme l’aura du startuper comme anti-héros postmoderne, version digitalo-ubérisée d’Icare, Prométhée ou Œdipe. L’histoire d’Adam et Rebekah Neumann évoque à s’y méprendre les parcours d’Elizabeth Holmes ou de Travis Kalanick pour tracer un profil type du fondateur de licorne : génial certes, bosseur forcené, qui veut réussir à tout prix, pour différentes raisons, revanche sur la vie, quête de fric, de reconnaissance, volonté de rendre le monde meilleur quitte à disrupter le système n’importe comment et à sa fantaisie.

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L’autre visage du chasseur de licorne

Sauf qu’à un moment, il faut revenir à la dure et pas très drôle réalité du business et de la gestion d’entreprise. Et payer l’addition exigée par les investisseurs. Et là, aïe ! Aïe pas trop pour soi et pour son égo (rarement pour son portefeuille qui en sort bien garni), mais pour les autres : collaborateurs, salariés, investisseurs, proches, amis, famille, les dommages collatéraux sont conséquents. C’est alors qu’on ne peut plus nier l’autre visage du chasseur de licorne, particulièrement marqué chez les Neumann :

  • la contradiction entre le discours, la volonté affirmée d’améliorer le monde et les méthodes employées qui relèvent de l’esclavagisme moderne ;
  • le côté ado et bordélique dans le comportement du CEO et de son équipe (la séquence du festival organisé pour remercier les employés de leur implication est assez parlante) ;
  • le sens prononcé de la persuasion, d’aucuns parleraient de manipulation et de foutage de gueule
  • l’absence de cloisonnement entre vie pro et vie perso, la dynamique assez perverse qui anime ce couple à la fois visionnaire et infernal, en mode « folie à deux », avec elle qui cherche à trouver sa place face à un mari écrasant (big up d’ailleurs au tandem Jared Leto/Anne Hataway qui est proprement sidérant dans son interprétation).

De véritables gourous de secte

Pour tout dire, Adam Neumann et son épouse sont bouffis d’orgueil, de suffisance, « le roi et sa reine », mégalomanes, de véritables gourous de secte. Dans Super Pumped 1 – la face cachée d’Uber, un business angel se rend à l’évidence : ces entrepreneurs capables de galvaniser des équipes sous-payées, de charmer des banquiers ultra-méfiants, d’aveugler politiques et journalistes avec leur vision du futur, ont tout du David Coresh. La question est de savoir comment les canaliser, à savoir quand faut-il les virer de leur propre start-up avant qu’ils ne réduisent tout en cendre.

WeCrashed propose un exposé très net de ce fonctionnement, une roue de la Fortune qui écrase tout sur son passage. Ces huit épisodes en disent long sur la violence et le mensonge qui règnent au cœur de cette sphère dont il faudrait se méfier. Érigée en Eldorado, elle s’avère trompeuse, seuls y survivent les plus dévorateurs, ceux qui n’ont pas de scrupules et cachent leur appétit de réussite sous un discours bienveillant et progressiste. À bien des égards, ils se gargarisent d’une position de visionnaire, de démiurge, s’enrichissant de façon indécente au passage en laissant ceux qu’ils ont vampirisés sur le carreau. C’est cela que nous raconte Wecrashed, et c’est effrayant.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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