Transatlantique : the great artistic escape !

La Résistance, encore et toujours ? Eh oui : le sujet est inépuisable, méconnu et on a tendance à le récupérer facilement pour lui faire dire n’importe quoi. D’où l’importance de la série Transatlantique qui évoque comment quelques Yankees ont réussi à exfiltrer une partie de la fine fleur intellectuelle et artistique européenne aux premières heures de l’Occupation.

Pauvres quidams et grands penseurs

Nous voici donc à Marseille, en 1940. La France, vaincue, a été coupée en deux. Située en zone libre, la cité phocéenne voit affluer les réfugiés, certains de pauvres quidams, d’autres de grands artistes, penseurs, philosophes, auteurs, peintres. Tous sans le sou, démunis, pourchassés sans merci par les nazis, et que le gouvernement français, déjà passé en mode collaboration, est prêt à livrer sans aucune pitié, ça fera quelques nuisibles de moins. Seule solution pour tous ces exilés : partir aux USA. Pour cela, il faut un passeport. Or, les États-Unis, qui voient d’un très mauvais œil l’arrivée sur ses côtes de toute cette population, délivrent ces précieux sésames au compte-goutte.

C’est qu’on n’est pas très open minded chez l’Oncle Sam, voire un peu antisémite et raciste sur les bords. Et puis, il faudrait voir à ne pas froisser le nouveau maître de l’Europe, avec qui il serait très profitable de faire du business. C’est bien connu, l’argent n’a pas d’odeur. Sauf pour quelques-uns… Varian Fry, Mary Jayne Gold, plusieurs de leurs amis et connaissances, pour qui cette situation est intolérable, et qui vont faire des pieds et des mains, prendre des risques insensés, mettre leurs propres existences en péril pour permettre l’évasion de tous ces proscrits qui n’ont à se reprocher que leur origine et leur créativité.

Un sauvetage complexe et risqué

Voici donc l’histoire de l’Emergency Rescue Committee, telle que la relate la série allemande Transatlantique, série elle-même inspirée du roman The Flight Portfoliode Julie Orringer. En sept épisodes saisissants, les showrunners, Anna Winger et Daniel Hendler racontent comme Varian et ses amis vont sauver la mise d’inconnus, mais aussi de Max Ernst, André Breton, Chagall, Walter Mehring, Hannah Arendt et autres têtes pensantes de l’intelligentsia européenne prises en chasse par les sbires d’Hitler. Ce qui va s’avérer particulièrement complexe et risqué.

  • Déjà parce qu’il y a beaucoup de personnes à exfiltrer, que l’argent manque cruellement ainsi que les moyens et les bonnes volontés.
  • Ensuite car les transports ont été coupés, que les bateaux sont rares en rade de Marseille mise en coupe réglée par les autorités pétainistes promptes aux rafles et aux arrestations.
  • Pour couronner le tout, les espions de tous bords ne manquent guère, et on ne sait plus à qui se fier.
  • Cerise sur le gâteau, la clandestinité n’est pas ce qu’il y a de plus facile à vivre pour ces génies au tempérament aussi fort que fragile, traumatisés par cette traque, par les arrestations précédentes, le séjour au camp des Milles, la perte de leurs biens, de la douceur de vivre, de l’insouciance.

Élan de vie et lucidité

De cette histoire avérée, documentée, mais évacuée des manuels d’Histoire, il ne reste que peu de souvenirs hormis dans les recherches des spécialistes. La villa Bel-Air qui a abrité tous ces gens et les efforts de Varian Fry (reconnu comme Juste parmi les Nations pour avoir sauvé entre 2000 et 4000 vies) et de ses amis a depuis longtemps été rasée. Pourtant, ce récit est d’une cuisante actualité, d’une mordante acuité. On aurait pu craindre le pire, le projet étant cornaqué par Netflix. Mais les bluettes qui se nouent dans les chambres de la villa n’entravent en rien le fil de l’intrigue, ni sa logique. En cette période troublée, où les couples sont brisés, les familles détruites, on se réfugie dans les amours de passage, un peu de chaleur humaine, de joie fugace partagée. Un élan de vie dans les décombres d’une civilisation.

Transatlantique vaut aussi par sa lucidité. Si les décors, les costumes, les accessoires nous enracinent dans les heures funestes de la Débâcle (on notera les références à Schiaparelli dans les tenues de l’élégante Mary Jayne Gold), le propos évoque la question universelle du déracinement, de l’exil, de la migration forcée, qui se déroule du reste sous nos yeux partout dans le monde. Difficile de voir l’ensemble de ces pauvres gens raflés sans ménagement, puis placés sur un navire pour ne pas gêner la visite de Pétain sans penser à notre présent. À ce titre, la série est un avertissement exemplaire : un pays se boucle aisément, c’est l’affaire de quelques jours ; une fois qu’on est pris dans la nasse, il est extrêmement difficile d’en sortir.

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Rétablir des vérités

Servie par un casting de très grande qualité où brillent Cory Michael Smith, Gillian Jacobs, Lucas Englander, Ralph Amoussou, Amit Rahav, Emmanuel Salinger ou Louis-Do de Lencquesaing pour n’en citer qu’une partie, Transatlantique a le mérite de mettre en évidence des paramètres qu’on ignore, rétablir certaines vérités. Ainsi la résistance des personnes issuées des colonies. Plusieurs personnages de cette histoire viennent des colonies d’Afrique, du Maghreb. Ils font partie des premiers à prendre secrètement les armes pour poser le socle de la Résistance. Il est bon de le rappeler car beaucoup ont tendance à l’oublier. Et puis il y a la puissance de la créativité face à la bêtise de l’intolérance.

Malgré les persécutions, le danger, tous ces artistes continuent de créer. Et la Villa Bel Air de se transformer en gigantesque atelier, une sorte de résidence artistique avant l’heure, où la douce folie surréaliste se déploie, peinture et sculpture mêlées à la philosophie et à la poésie, au cinéma et à la photo. « Faire un film dans sa tête » : c’est peut-être pour ça que les nazis les pourchassent avec tant de hargne : tous demeurent libres dans leur tête grâce à leur formidable inventivité, leur réflexion, leur puissance de jugement. C’est dans les replis de leurs neurones que commence cette great artistic escape ! Et comme pour affirmer la pérennité de cette puissance, le générique de la série se décline d’épisode en épisode comme une expérimentation filmique à la Man Ray, un hommage en noir et blanc à l’apport de ces grands esprits.

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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