The Investigation : un true crime tout en pudeur et en intensité

série The Investigation

Question : peut-on évoquer une affaire criminelle sans tomber dans le sordide, le voyeurisme et le racoleur ? Tout en restituant l’intensité des différents temps de l’enquête, les problématiques multiples qui se posent, les émotions contradictoires et des policiers et des proches ? Sans placer l’assassin en position de héros ? Réponse : oui, si l’on en croit la série The Investigation.

Récit d’une course contre-la-montre

Réalisée en 2020 par Tobias Lindholm, cette série danoise relate l’affaire Kim Wall. La jeune journaliste suédoise a été assassinée en 2017 alors qu’elle faisait un reportage sur le créateur danois d’un sous-marin. Partie en mer à ses côtés pour l’interviewer et construire un portrait crédible et documenté, elle ne revint jamais. On retrouva son corps démembré, lardé de coups de couteau et probablement violé. Enchaînant les déclarations contradictoires, le propriétaire du submersible a été reconnu coupable du meurtre de la jeune femme.

L’affaire, très médiatisée, a créé un véritable choc sur le public scandinave, peu confronté à ce type de criminalité. Entre autres faits d’armes, scénariste très remarqué de la série Borgen et du film Drunk, réalisateur de la série R et de certains épisodes de Mindhunter, Tobias Lindholm s’empare du sujet pour en restituer toute la gravité, l’intensité… sans jamais passer par la case “gore” ou “spectaculaire”. Pourtant, sa narration, poignante, s’impose par son traitement du suspense, la tension qui se dégage de cette course contre-la-montre.

Pressions et remises en cause

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : très vite, les enquêteurs comprennent que le propriétaire du sous-marin est impliqué dans la disparition de la jeune fille. Mais de quelle manière ? Et comment le prouver ? Ils ont très peu de temps pour constituer un dossier complet et solide impliquant cet homme insaisissable et manipulateur dont jamais nous ne verrons le visage ni entendrons le nom. Jamais Lindholm ne le montre, tout comme il élude les séquences d’autopsie, les photographies dérangeantes, bref l’arsenal habituel du true crime fondé sur les détails scabreux, les récits monstrueux.

Il préfère traduire l’horreur de la situation en se concentrant sur cette pression du temps qui passe, tandis qu’on cherche à comprendre ce qui est arrivé, à démêler le vrai du faux dans les dires d’un suspect dont on devine les déviances sans pouvoir en évaluer la dangerosité très exactement. D’autant que l’équipe de police en charge des investigations n’est ni formée ni équipée pour ce genre de traque. Il va donc falloir remettre en cause les convictions, trouver des solutions sur le tas, revoir les points de vue, en un mot “se challenger”.

La force aveugle d’un destin funeste ?

En suivant le déroulement chronologique de l’enquête avec une précision de métronome, en datant chaque étape, le réalisateur communique cette urgence de résultats au spectateur, ainsi que la détresse qui en résulte. Coincés entre un procureur très exigeant, des parents éperdus de chagrin, des médias en quête de scoop, nos limiers, submergés d’émotions intenses, s’épuisent à force de s’impliquer, de se démener pour trouver des solutions, de se remettre en cause. Symbole de leur désorientation, cette mer infinie où ils tentent, par tous les moyens, de retrouver le corps de Kim Wall.

Autre originalité de la série, l’évocation de la victime, journaliste prometteuse, courageuse, morte d’avoir fait son métier. Lindholm, par petites touches, dresse le portrait de cette jeune femme talentueuse, qui, après avoir couvert conflits et crises au travers du monde, a le malheur de croiser la route d’un tueur sordide, misogyne, sadique, désireux de commettre un meurtre parfait par appétit de pouvoir, de domination. La force aveugle d’un destin funeste ? Cela s’est joué à un coup de fil, et la série donne à sentir ce basculement infime mais fatal, et la conscience qu’en ont et les enquêteurs et l’entourage.

Remarquablement servi par un casting talentueux où prédominent Soren Malling (The Killing) et Pilou Absaek (Borgen, Game of thrones), The Investigation s’inscrit à contre-courant de programmes comme Monster : the Jeffrey Dahmer story. Plutôt que de mélangent les points de vue, les axes temporels dans une narration alambiquée tentant d’explorer la folie destructrice d’un assassin, Lindholm choisit la simplicité, l’intériorité, et c’est aussi terrifiant, sinon plus.

Et plus si affinités

La série The Investigation est disponible sur la chaine HBO.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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