
Suis-je une vieille conne aigrie ? Je m’étais promis de ne jamais tomber dans le « c’était mieux avant, ma bonne dame ». Mais en visionnant les deux saisons d’Entretien avec un vampire, j’ai franchement tangué, et plusieurs fois. D’où une foultitude d’interrogations qu’il me fallait explorer.
Un roman culte
Pour les aficionados de littérature dark et de vampires, Entretien avec un vampire est un incontournable, le roman culte par excellence. Inaugurant la tétralogie consacrée aux aventures du fringant et cynique Lestat de Lioncourt, Entretien avec un vampire relate les confidences de son compagnon Louis de Pointe du Lac, vampire désabusé pour ne pas dire dépressif, qui évoque sa triste histoire au micro d’un journaliste en quête de scoop.
Soyons clairs : il y a eu un avant et un après Interview with a vampire. Avec ce best seller publié en 1976, Anne Rice dynamite à jamais les codes du genre. Ses vampires distancent le profil du tueur avide et diabolique dessiné par Bram Stocker dans Dracula pour proposer une vision beaucoup plus nuancée et empathique. Le vampire à la mode Anne Rice est rongé de doutes, il n’a pas choisi sa condition, la subit comme une malédiction, s’en accommode difficilement et en souffre psychiquement, parfois jusqu’au suicide.
Des modifications de taille
En toute logique, si vous avez un grain de bon sens, quand vous bouclez le roman, l’aventure vampirique vous tente beaucoup moins. Car elle constitue un gouffre de douleurs, de chagrins, de ruptures, sans compter l’obligation de tuer pour survivre, pire de transformer autrui pour ne pas être seul. La version cinématographique signée Neil Jordan en 1994 creuse ce sillon, portée par un Tom Cruise atroce de cynisme, un Brad Pitt rongé de remords, une Kirsten Dunst dont la candeur cache une violence sans fond.
Autant dire que l’adaptation en série par Rolin Jones en 2022 avait du pain sur la planche pour rivaliser. Étirée sur deux saisons qui en appellent une troisième déjà en promotion, Interview with a vampire s’empare de la tétralogie d’Anne Rice … et l’aménage clairement pour parler à la génération Y, Z et plus jeunes encore. Ce qui implique plusieurs modifications de taille :
- bye bye le XVIIIe siècle, nos héros évoluent initialement dans les années 20 avant de traverser la seconde Guerre Mondiale, puis les années 50 ;
- initialement planteur blanc exploitant les esclaves noirs, Louis devient un malfrat de couleur, idem pour la petite Claudia, elle-même noire ;
- les relations entre Louis et Lestat sont clairement homosexuelles, là où Anne Rice ne faisait qu’effleurer cette option.
Scènes de ménage et casting impliqué
La chose aurait pu être intéressante, porteuse de réflexion, débouchant sur une interrogation de l’intolérance sociale propre aux USA où il ne fait guère bon être de couleur ou homo (c’est clairement l’option du film Sinnners). Que nenni ! L’histoire va tourner à la crise familiale avec scènes de ménage et engueulades, coups de foudre, coups bas, rabibochages et séparations fracassantes. Entre deux séquences de massacres (il faut bien se nourrir et s’amuser un peu avec sa nourriture), nos héros s’engueulent copieusement, ne se supportent plus.
C’est spectaculaire, mais ça manque de fond. Et c’est vraiment dommage, vu que le casting est juste absolument génial de talent et d’implication. Sam Reid (déjà aperçu entre autres dans Profession reporter) campe un Lestat de compétition, Jacob Anderson (exfiltré de Game of thrones) apporte sa fragilité à Louis, Eric Bogosian est un Daniel Malloy d’un cynisme mordant, c’est le cas de le dire), Assad Zaman tisse un Armand aux charmes crépusculaires, Ben Daniels est juste parfait en Santiago, Bailey Bass puis Delainey Hayles incarnent à la suite une Claudia aussi cruelle que fragile. Bref, rien à dire ni sur l’interprétation, ni sur les décors, les costumes.
Guimauve sentimentale
Ce qui pêche ? C’est ce besoin d’étaler l’histoire sur deux saisons là où une seule aurait pu suffire si on nous avait fait grâce de ces querelles amoureuses qui tournent à la thérapie de couple devant des spectateurs transformés à leur corps défendant en conseillers conjugaux. Dommage car les passages marquants ne manquent guère, notamment la vision du théâtre des Vampires, qui rappelle les temps forts du Grand Guignol. Mais ce n’est qu’une toile de fond pour une guimauve sentimentale dont les héros de Rice étaient initialement incapables et c’était d’ailleurs là tout le problème.
Lestat, Louis, Claudia, la V1 de ces personnages était avide d’aimer, incapable d’y parvenir. La V3 développée dans la série est dégoulinante d’amour et de cruauté. Pour parler aux ados ? En liquidant toute la réflexion sur la mort et la non mort (rappelons qu’Anne Rice a initialement écrit le livre suite au décès d’un de ses enfants), l’accès à l’éternité comme une fatalité, la difficulté à traverser les époques, les mutations technologiques, sociales et morales, à s’adapter aux temps qui passe quand on a des siècles de non vie derrière soi. C’était cela la fibre initiale du roman, ce qui en faisait le prix. Il n’en reste que peu de choses dans la version de Rolin Jones et cela en dit long sur l’appauvrissement de nos chefs d’œuvre condamnés à des relectures riches de potentiel, vides de sens.
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