Samson ressuscité : quand le passé se fait miroir du présent

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C’est une première mondiale hors du commun que le Festival d’Aix-en‑Provence a offerte le 4 juillet 2024 à son public d’aficionados : Samson, tragédie lyrique jadis écrite en 1733 par Voltaire et Rameau, enfin portée au plateau. Jamais créé, empêché par la censure religieuse et hélas perdu, l’opéra est ainsi revenu à la vie sous la houlette savante du chef Raphaël Pichon — entouré de ses musiciens de l’ensemble Pygmalion — et du metteur en scène visionnaire Claus Guth.

Une reconstruction créative

Cette résurrection ne se limite pas à une exhumation historique ; c’est un véritable travail de reconstruction créative : Pichon a extrait des fragments de la musique de Samson dispersés dans des œuvres ultérieures — Castor et Pollux, Les Indes galantes, Zoroastre, Les Fêtes d’Hébé — avant de composer un continuum lyrique cohérent, fidèle à l’esthétique baroque et au drame biblique du livre des Juges.

Cette relecture tisse le drame en cinq actes, de la naissance miraculeuse de Samson à l’acte final dévastateur, suivant volontiers la partition du livre des Juges augmentée par Voltaire, Edgar Garaudel et Yvonne Gebauer. La relecture se présente comme une nouvelle création : on suit non plus un héros ancestral, mais un homme moderne pris dans un engrenage politique et sacré. Les chœurs, les confessions, les soliloques résonnent comme des diagnostics de notre époque.

Une mise en scène polyphonique

Claus Guth, déjà réputé pour ses relectures fortes (sa Bohème lunaire à Paris), imagine un Samson en ruine, métaphore trumpienne d’un monde en lambeaux : murs éventrés, poussière au sol, ouvriers en combinaison évoluant dans les ruines d’un hôtel particulier Grand Siècle. Le théâtre de l’Archevêché s’y prête parfaitement : la symbolique visuelle, renforcée par des éclairages spectaculaires et des sonorités hypermodernes, est puissante.

La narration est quant à elle maternelle et traumatique  : le récit est porté par l’actrice Andrea Ferréol, préséance unique d’une mère à genoux devant la tombe de son fils, interrogeant l’histoire humaine et son effondrement. La violence brute est exhibée avec une force visuelle troublante : le héros biblique est tour à tour martyr, victime, menace, dans une logique où le sacré rejoint l’apocalypse contemporaine.

Pure tragédie

Pour parachever cet ensemble, les chanteurs.

  • Jarrett Ott, baryton, oscille entre force tellurique et vulnérabilité. Son Samson, colère et douleur, est un héros suicidaire, prophétique d’un destin implacable.
  • Lea Desandre, dans le rôle de Timna, offre un contraste vocal pur, haut perché, presque angélique : souvenir d’une humanité lointaine, prémisse du chaos.
  • Jacquelyn Stucker incarne Dalila, sulfureuse et glaciale, voix cristalline, mais dont la séduction est une arme de guerre — moins érotique, plus tactique — ce qui confère une nuance psychologique inédite au personnage.
  • Nahuel di Pierro (Achisch) et Laurence Kilsby (Elon) fournissent une complexité morale : philistins et juifs ne sont plus archétypes, mais destins entrelacés et ambigus.

Ce Samson est une résurrection visionnaire, fruit d’une archéologie live et d’une relecture contemporaine. La partition à la fois recréée et réinventée, le dispositif scénique et la distribution exemplaire en font un moment unique, où passé et présent dialoguent dans un langage lyrique renouvelé.

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Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.