A l’avant-garde : Rineke Dijkstra – Bullfighters

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Ils sont là, debout, figés, à peine sortis du sable et du sang. Encore haletants. Le torse souillé, la peau ouverte parfois. Leur regard ne dit rien — ou tout à la fois : la fierté, l’effroi, l’épuisement, l’extase. Ils ne posent pas. Ils offrent ce qu’ils sont, à cet instant précis : des hommes qui viennent de frôler la mort et qui, pour quelques secondes, n’ont plus d’armure. Rineke Dijkstra a capturé ces instants dans une série bouleversante : Bullfighters.

Ce qui importe, c’est l’après

Des portraits pris juste après la corrida, alors que les toréadors quittent l’arène. Entendons-nous bien : ce n’est pas la gloire qu’elle traque, ni le besoin de promouvoir pareil spectacle. Ce qui intéresse ici cette photographe néerlandaise adepte de l’intime et de la métamorphose, c’est la faille, le tremblement, la chute d’adrénaline. Comme toujours chez Dijkstra, ce qui importe, c’est l’après. Ce moment de vérité silencieuse, où le corps n’a pas encore menti.

Des guerriers solitaires

Ce ne sont pas des photos spectaculaires. Pas d’action. Pas de taureau. Juste des hommes en habit de lumière, isolés sur un fond neutre. Et pourtant, l’intensité est totale. Les visages sont pâles. Les corps sont tendus. Certains saignent. Tous sont épuisés. On sent que le combat a laissé une trace — ces guerriers sont seuls, par delà l’objectif, ils regardent ailleurs, au-dedans peut-être. Le temps d’un flash, ils ne maîtrisent plus l’image qu’ils donnent.

Capter le climax

L’arène a toujours été un lieu de théâtre autant que de violence. Une scène antique, tragique, où l’homme joue avec sa peur, son courage, sa mort possible. Rineke Dijkstra capte l’instant qui suit le climax, quand le masque tombe, que le rituel s’achève, et que l’homme redevient chair. Elle ne juge pas. Elle regarde. Elle enregistre la transformation.

Une photographie de l’entre-deux

Comme pour ses séries sur les adolescents, les jeunes mères, ou les recrues militaires, Dijkstra documente l’instant fragile où l’identité se brouille. Ici, ce ne sont pas des enfants grandissants, mais des adultes confrontés à la limite : celle du courage, de la douleur, de la mort. Beaux d’une beauté abîmée, ces hommes viennent de triompher, mais leur regard semble dire l’inverse. Ils vacillent.

Une humanité crue

Comme je l’évoquais plus haut, Dijkstra ne cherche ni à glorifier la corrida, ni à la dénoncer. Elle capte l’humain nu, dans ce qu’il a de plus brut, de plus suspendu. La série Bullfighters ne parle pas de tauromachie. Elle parle du rite, du corps, de la représentation, de la chute, du vertige d’avoir traversé la mort sans y rester. Elle parle, surtout, de la solitude de celui qui vient de tout donner, et qui, en sortant de scène, ne sait plus vraiment qui il est.

Et plus si affinités ?

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Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.