Reflet d’artiste : Loki Starfish, gestation d’un « sturm und drang » electro

Alors que le combo Loki Starfish vient de boucler la release party de son nouvel album aux Trois Baudets, il convient de revenir sur la genèse d’un concept riche d’imaginations et d’audaces créatives. C’est que derrière l’entité qui déverse ses compos dark pop electro pour faire vibrer le public s’active un collectif d’une incroyable vivacité, autour du pilier orchestral qu’est Jérémie Lapeyre, initiateur et activateur de cette machine créative à géométrie variable, spécifique des mutations de la cellule musicale moderne.

Canaliser le « sturm und drang » intial

Je rencontre le monsieur il y a quelques mois, alors qu’il vient de finir Stones from Fire Mountain. Perdu dans les affres de la production et de la diffusion, il m’accorde une discussion pour expliciter ce mystère artistique qu’il propulse depuis 2008, avec un succès grandissant. Cheveux et barbe sombres, œil noir scintillant, Jérémie se distingue immédiatement par un feu intérieur qui, chose rare, l’échauffe et le conforte mais ne le consume guère. Un néo romantique qui a su dompter les chevaux du désespoir ? Il se pourrait bien … C’est que la passion, le « sturm und drang »germanique initial, a dû être canalisée au profit des impératifs du métier d’homme de spectacle, à la fois compositeur, interprète, DJ, régisseur, programmateur, fédérateur d’une frénésie inventive qui ne demande qu’à surgir.

A ce jeu il a toujours laissé faire le hasard, chaque nouveau morceau, chaque EP, chaque concert, chaque clip, « expectorés » à point nommé pour ajouter du sens à l’enchaînement des œuvres précédentes. Au cœur de ses réflexions, la difficile communication entre les êtres, la violence des rapports, le risque inhérent à la vie qu’est la mort, des relations, amicales ou amoureuses, des illusions sur soi-même et le monde, des êtres qui nous sont si chers et qui partent trop tôt. Si Stones from Fire Mountain percute un quotidien de deuils accumulés qu’il a fallu négocier concrètement et émotionnellement, l’album n’est en rien une lamentation, comme du reste le répertoire complet du groupe qui se singularise par son rythme et sa luminosité.

Le masque des contradictions

Love-Like Banners en 2011, Silence + Evidence et A season for wheepers en 2012, Broken moth en 2013, Hey There en 2014, les opus précédents comme le récent LP se veulent un élan, une « force qui va » pour citer Victor Hugo, qui ici définit la logique, pour ne pas dire le dogme orientant la créativité de la formation. Une force qui va en intégrant et revendiquant ses contradictions. En l’état le patronyme du groupe fait école : Loki est à la fois un dieu nordique, fourbe et manipulateur, dangereux car changeant, et une déesse africaine liée à la fertilité de la terre et aux moissons. L’étoile de mer (starfish) se caractérise par son pouvoir de vie, l’élément aquatique dans lequel elle évolue et d’où provient toute source d’existence sur terre. On ne peut faire plus symbolique, pour ne pas dire ésotérique.

Est-ce pour cette raison que depuis son origine, le groupe manipule les masques ? Issu du théâtre, avant de se lancer dans l’aventure musicale en autodidacte, Jérémie a toujours été fasciné par cet accessoire théâtral au fort pouvoir d’évocation. Quand certains musiciens adoptent le masque du super héros ou celui du psychokiller, lui se réfère à une lecture plus psychique, entre ultra théâtralisation de la lucha libre et concrétisation du masque social, qui ici favorise la métamorphose tout en servant de paravent pour ne pas projeter son empathie sur l’audience. D’où le soin apporté à leur conception, effectuée par Erik Halley qui est par ailleurs intervenu auprès de Christian Lacroix, David Bowie ou Madonna ; il partage la réalisation des costumes et accessoires avec Jean Paul Lespagnard.

En puissance et en décalage

Preuve que Jérémie, en homme de spectacle averti qu’il est, sait s’entourer pour façonner son univers comme une dramaturgie, qui mêle rigueur de la tragédie antique, fougue du drame romantique, et froideur distancée de l’absurde. Si les concerts sont pensés sur le mode du récital lyrique, où l’expression des corps côtoie le recueillement des esprits, c’est dans la vidéo que réside le pouvoir hypnotique du groupe. On en dénombre 18 qui ont mobilisé 14 réalisateurs Yann Gonzalez, Benjamin Busnel, Edmond Carrère, Laetitia Laguzet, Viktor Milletic, Nicolas Martin, Gaëtan Campos, Olivier Solère, Julien Isoré, Natalia Dufraisse, Julien Baret, Fanadeep, Daniel Gaudard et Chris Ruggi, Xavier Reim.

Ce n’est pas rien, sachant que chacun a apporté sa patte, sa propre interprétation de la force du groupe au travers de clips travaillés, en puissance et en décalage. On reprouve ce principe d’émulation dans la texture même des morceaux qui sont très souvent le fruit de collaborations. Projet mutant allant du quintet au solo selon les moments et les paramètres, Loki Starfish peut s’enorgueillir d’avoir capté l’attention de Elephanz, Louise Roam, Torb, Alto Clark, Infecticide, Arch Woodman, My Summer Bee, Museum, Maxime Iko, Andres Komatsu, Gachette of The Mastiff, Pavle Kovacevic, Thomas Suire, Michael Durand, Jacques de Candé, Sophie Morin, Moziimo, Donatien Roustant, Louis Pontvianne, Flore Cunci et j’en passe …

La différence attire le respect

Un bien beau casting complété par le travail des photographes qui habillent chaque nouvel opus d’une identité visuelle repérable et adaptée : Laetitia Laguzet, Pierre Andreotti, Iris Syzlack, Catherine Calvanus, Bertrand Noël, Roch Armando, Aliosha Alvarez, Marie Magnin et Julien Guillery. Cela en fait du monde à driver, des personnalités complémentaires, antagonistes, … une petite humanité bouillonnante que d’aucun craindrait d’avoir à diriger. Ce qui n’est pas le cas de Jérémie qui au contraire affectionne cette ambiance d’échanges aussi vifs soient-ils : « la différence attire le respect » explique-t-il avec sagesse, y trouvant une occasion supplémentaire d’explorer cette notion de sacré qu’il pense inhérente au monde, sans jamais se départir d’un solide sens des réalités.

L’anglais dans les lyrics ? « Mais c’est le latin d’aujourd’hui. »Le Do It Yourself ? Le seul moyen d’apprendre les ficelles du métier et d’obtenir ce qu’on désire vraiment sans être formaté par l’industrie. La programmation de soirées ? L’opportunité d’acquérir une autonomie financière et de construire un réseau de contacts, tout en maîtrisant les facteurs du live, les règles du dancefloor. Les pieds ancrés au sol, la tête sur les épaules, l’esprit dans les cieux, entre gestion du concret et quête mystique, l’entité Loki Starfish, oxymore musicale s’il en est, vise une catharsis perpétuelle, la réappropriation de sentiments d’exaltation et d’émerveillement confisqués et salis par la bassesse matérialiste. Poésie et résilience, embrassant les incohérences et les transformations de la vie avec autant de peine que de joie, ce groupe propose une plus qu’une esthétique … une véritable philosophie, portant sur l’acceptation de ce qu’on est.

Un grand merci à Jérémie Lapeyre pour son temps, ses explications.

Et plus si affinités

http://lokistarfish.tumblr.com/

http://www.facebook.com/lokistarfish
http://soundcloud.com/loki-starfish
http://www.youtube.com/Lokistarfishmusic

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com