Le Malade imaginaire de Molière : autopsie d’un mythe dramaturgique

Le Malade imaginaire : une simple pièce de théâtre ? Une comédie classique dans l’esprit du XVIIᵉ siècle ? Oui bien sûr… mais pas seulement, et c’est heureux. L’ultime chef-d’œuvre de Molière frappe par encore et toujours par sa justesse, son mordant. Il continue de résonner avec le public plus de trois siècles après sa première représentation. Écrite en 1673, la dernière comédie-ballet de J.B. Poquelin demeure une critique acerbe et hilarante de la médecine et des travers humains, tout en offrant une réflexion profonde sur la condition humaine.

Une pièce légendaire

Le Malade Imaginaire s’appelle Argan et c’est un hypocondriaque pur jus, obsédé par sa santé, s’entourant de médecins plus charlatans les uns que les autres qui s’ingénient à le soigner par tous les orifices à grand coup de potions absolument ignobles. Des médecins qu’il écoute comme le Messie, et à qui il est prêt à sacrifier la quiétude et le bonheur de ses proches. Satire décapante et un brin scatologique des pratiques médicales de l’époque, la pièce est aussi une exploration des peurs et des obsessions humaines, comme seul Molière est capable d’en écrire une.

Ce qui rend pourtant ce Malade imaginaire si légendaire, c’est son contexte historique. Quand Molière termine son texte, il est affaibli par la maladie. Il meurt d’ailleurs au soir de la quatrième représentation, quelques heures après avoir joué le rôle d’Argan qu’il s’était octroyé, en star de sa troupe. Le fauteuil dans lequel il aurait agonisé sur scène trône d’ailleurs toujours dans l’enceinte de La Comédie-Française, objet de toutes les attentions, de tous les respects. L’anecdote a largement servi de socle à la dimension mythique de l’œuvre.

L’intelligence du texte

Mais au-delà de cette histoire du reste poignante, c’est la pertinence et l’intelligence du texte qui en font une œuvre éternelle. La dernière pièce de Molière se singularise de multiples façons, constituant une somme de son art, de son talent, de la finesse propre à ce bel esprit, témoin de son temps. Bien sûr, Argan s’impose d’entrée de jeu avec ses peurs et ses caprices, ses colères et ses lubies, ses illusions et ses affections : la scène d’exposition où il règle les factures de ses médecins et apothicaires est en soi un moment d’anthologie que tout acteur rêve d’interpréter (Jacques Charon, Michel Bouquet, Guillaume Gallienne… la liste est longue de ceux qui s’y sont illustrés) ; celle où il s’amuse avec sa petite Louison, un sommet de tendresse.

Mais ce héros à plusieurs facettes est également entouré de figures mémorables comme Toinette, la servante rusée et dévouée qui a tout d’un Scapin en jupons, ou encore Béline, la seconde épouse particulièrement intéressée par la fortune de cet époux qu’elle exècre en secret. Et que dire de Diafoirus père et fils ou de M. Purgon dont la tirade en forme de malédiction est un monument littéraire en soi ? Chacun, à sa manière, incarne une facette de la société et de la nature humaine, rendant la pièce aussi diverse qu’amusante, vivifiant une structure par ailleurs rigoureusement façonnée. Car Molière est un magicien qui sait y faire en architecture dramaturgique, alliant comédie, danse et musique pour offrir une expérience théâtrale complète, typique des divertissements qu’on appréciait à l’époque, et qui mêlaient les différents arts, littérature, théâtre, musique, danse, peinture. Les dialogues, vifs, les situations, cocasses, les répliques, ciselées, l’ensemble fait mouche à chaque scène, avec un sens aigu de l’observation et de la satire propre à cette époque de moralistes.

Hypocondrie universelle

Hypocondrie, manipulation, amour, critique sociale sont autant de thèmes abordés avec une grande pertinence, une ironie grinçante et tendre à la fois. Molière se plaît ici à dépeindre une humanité vulnérable et inconstante, comique autant que pitoyable par l’étalage de ses passions et de ses excès. Argan complète une galerie déjà fournie de portraits pittoresques et un peu inquiétants par leur démence : le Bourgeois gentilhomme, l’Avare, Tartuffe… son style inspira à n’en pas douter La Bruyère et ses Caractères. Il y a de quoi : derrière le rire, il y a la violence. Des pères autoritaires et méchants, aveuglés par leur folie au point de sacrifier le bonheur de leurs enfants.

Difficile en contemplant Argan ruiner l’avenir de sa fille pour assurer sa sécurité sanitaire, de ne pas se projeter au présent, tant ces personnages mettent en lumière des vérités intemporelles sur nos comportements et nos croyances. Le Malade imaginaire continue de nous captiver parce qu’il parle de nous tous. La peur de la maladie, la méfiance envers la médecine et les relations familiales compliquées sont des sujets toujours pertinents. La capacité de Molière à rendre ces thèmes universels, à travers le prisme de l’humour et de la critique sociale, fait la modernité inconditionnelle de cette œuvre incomparable.

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com