La saga Maeght : « L’art n’est pas tiède »

Quelque part dans la garrigue, du côté de saint Paul de Vence, se dresse une bâtisse blanche et rouge, aux lignes modernes, aux vastes baies vitrées, cernée de sculptures abstraites : depuis 1964, ce complexe pensé par l’architecte catalan Sert symbolise la volonté artistique d’Aimé Maeght. Le célèbre marchand d’art et son épouse ont fait de leur fondation bien plus qu’un lieu dédié à l’art moderne : c’est un havre voué à l’encouragement de la créativité sous toutes ces formes. Mais encore ? Pour comprendre réellement ce que représente ce projet précurseur, il faut parcourir La saga Maeght.

Une véritable ambition culturelle

En 400 pages, Françoise « Yoyo » Maeght, petite fille d’Aimé et Marguerite, raconte comment, à force de patience et de passion, les Maeght vont s’imposer comme de véritables défricheurs de tendances et de talents, amoureux et protecteurs des arts. Miró, Chagall, Picasso, Giacometti, Matisse, Braque… la petite Yoyo, comme la surnomme le poète Prévert qui la connaît depuis le berceau, va grandir au milieu d’artistes visionnaires qui, au côté de son grand-père chéri, vont façonner son regard, initier son amour des arts et du Beau. Lithographe et graveur de formation, Aimé Maeght part de rien pour progressivement fonder un empire, ancrant son influence jusqu’aux USA et en Asie.

Relatant souvenirs, anecdotes et observations, Yoyo Maeght nous entraîne avec ferveur et enthousiasme au cœur d’une véritable ambition culturelle : une entreprise florissante doublée d’une utopie philosophique. Son récit, vibrant, révèle le caractère innovant d’un homme pertinent et passionné, qui flaire les changements, les attentes, les besoins, qui s’institue mécène autant que marchand, laisse les artistes qu’il défend créer à leur guise, les conseillant sans jamais rien leur imposer. Toujours il s’adapte, solutionne, encourage, rassure, en dépit des tragédies de la vie, tout en maîtrisant parfaitement les codes d’une communication qu’il réinvente au fil des expositions et des différents développements de ses activités.

Reprendre le flambeau

Une fondation donc, indépendante et autofinancée, qui repose sur une maison d’édition, une galerie, des points d’exposition partout dans le monde… un sens aigu des thématiques à explorer, du naming des événements, de la manière d’attirer intellectuels, vedettes et journalistes à une époque où les people s’appellent Yves Montand, Simone Signoret, Gérard Philippe, André Malraux, Lino Ventura… Des amitiés fortes, indéfectibles qui bercent l’enfance d’une petite Françoise par ailleurs assez malmenée par des parents bohèmes et irresponsables qui la négligent ainsi que ses deux sœurs et son frère. Tout ce petit monde entrera dans l’âge adulte au début des années 80, fréquentant la jeunesse dorée de Paris et New-York, avant de reprendre le flambeau tendu par leurs grands-parents.

En principe car c’est là que ça se corse. Il y a depuis longtemps mésentente entre le grand-père et le père : Aimé et Adrien ne se parlent plus, sans que Yoyo sache pour quelle raison. Quand Aimé décède, l’empire va être démantelé, dépecé, malgré les efforts désespérés de Françoise pour préserver l’esprit d’une maison qu’elle veut associer à l’idée de luxe intellectuel. La querelle ira très loin, prenant des allures shakespeariennes. «Le monde de l’art n’est pas le monde du pardon» : la citation de René Char arrive à propos pour éclairer la démarche de l’auteure, qui publie ces lignes en 2014, à l’occasion du cinquantenaire de la fondation qui consacre la mission de passeur de lumière de son papy adoré.

Transmettre l’esprit Maeght

Papy qui n’apparaît pas sur la couverture du livre, où l’on distingue la petite Yoyo, de blanc vêtue, couvée du regard par un Prévert et un Picasso attendris. Un adoubement ? Ce choix iconographique n’est pas un hasard quand on découvre le devenir du clan Maeght, l’implosion familiale, la guerre fratricide qui y règne. Et la douleur sourde que génère ce combat où chacune voudrait accaparer un héritage qui n’est pas qu’immobilier. Outre des milliers de toiles, gravures, lithographies, livres, œuvres d’art, qui représentent certes des montants énormes, mais aussi une valeur affective, des souvenirs, des émotions, le patrimoine des Maeght est intellectuel, spirituel même. Écartée sans ménagement de cette passation, Françoise Yoyo Maeght, dans ces lignes, relève le gant. Qu’on le veuille ou non, il faudra compter avec elle pour préserver et transmettre l’esprit Maeght hérité de ses grands-parents.

Un règlement de comptes ? Non. Plus une volonté de dire la vérité, si tant est qu’elle existe, si l’on en croit Pirandello. « Chacun sa vérité » ? Celle de Yoyo est lumineuse et directe ; la dame ne mâche pas ses mots, elle ne s’en cache guère. Évacuée sans ménagement de la smala, la voici décidée à tracer sa propre route dans le sillage d’Aimé, Marguerite et la cohorte d’artistes qu’ils ont su rassembler, mobiliser, mettre en lumière. Pour sûr, la saga Maeght vient de prendre un tournant : une nouvelle route est en train de se dessiner, parallèle à celles de la fondation, de la galerie, de la maison d’édition. Avec un mot d’ordre, que répétait souvent Aimé : « L’art n’est pas tiède ».

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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