Profession du père : le petit Nicolas aux enfers

couverture du livre de Sorj Chalandon Profession du père

Pasteur, parachutiste, espion, fondateur des Compagnons de la chanson, footballeur… du haut de ses 10 ans, Émile écoute son père lui raconter sa vie d’aventurier protéiforme. Nous sommes en 1961 et ce papa héroïque et violent va entraîner son petit dans l’action vengeresse de l’OAS. À moins que tout cela ne soit que des mensonges ? Voici en substance le socle du livre de Sorj Chalandon, Profession du père. Un roman dont on ne peut sortir indemne, car il évoque le petit Nicolas aux enfers.

Un père fantasque, violent et secret

Nous connaissons tous le petit héros de Sempé et Goscinny. Eh bien, Émile s’exprime avec autant de candeur, de confiance. Et quand son papa lui raconte sa vie, il le croit. Normal, c’est son papa. Un papa fantasque, mais au vécu flamboyant de guerrier, un papa qui a fait le vide autour de lui, de son épouse et de son fils. Pas d’amis, pas de visites, plus de contact avec la famille. Personne pour questionner ce récit merveilleux. Juste son épouse, soumise et patiente, et ce petit bout de chou asthmatique et mauvais élève, excepté en dessin : un public de rêve. Deux victimes que le père dénigre sans cesse, quand il ne les rudoie pas physiquement.

Ce père instable à la profession incertaine va entraîner son gosse dans des délires dont on mesure la gravité et la perversité au fil des pages. L’impact aussi, car ce “je” qui s’exprime et témoigne, c’est à la fois l’enfant confronté à une situation dont il perçoit l’anormalité sans pouvoir la comprendre, et l’adulte de soixante ans qui cherche à percer le mystère de ce père dévorateur et maltraitant. “Tu connais ton père” ne cesse de répéter la maman, comme pour excuser la violence paternelle. Justement non, le narrateur ne connait rien de son géniteur, hormis sa brutalité. Peu à peu, nous découvrons avec lui les failles mentales du père, et l’effet sur un enfant qui aurait pu lui aussi basculer dans les mêmes travers.

Enfant de salaud : “pourquoi es-tu devenu un traître, papa?”

Impuissance, culpabilité et fatalité

Sans jamais tomber dans les méandres de l’analyse psychologique, Sorj Chalandon reste dans le domaine des ressentis, des émotions. Une manière frappante d’évoquer les dommages collatéraux des sévices subis, tout en soulignant ce mélange très particulier de colère et de regret, d’impuissance face à un père aimé malgré tout, mais qui jamais ne fait amende honorable, car il n’en a pas la capacité mentale. Et la mère dans tout ça ? Est-elle terrorisée par son époux, complaisante face à ses dérives, totalement insensible car habituée à un comportement qu’elle banalise, car incapable de s’en aller ? Aucune réponse bien entendu, et c’est le plus dur à encaisser.

Profession du père a été adapté à l’écran en 2020 par Jean-Pierre Améris, avec Benoit Poelvoorde dans le rôle de ce papa ingérable. Un film impressionnant qui n’a cependant pas l’intensité du livre de Chalandon. N’en faites pas l’économie : ce texte superbe se singularise par l’expression très particulière de la souffrance psychique, et de l’enfant, et de l’homme qu’il est devenu, obligé de se construire comme il a pu sur ce marécage émotionnel qui aurait pu l’avaler. Et qui n’a de cesse de demander des comptes à un père qui ne peut tout simplement pas lui répondre, car cela le ferait imploser. Impuissance, culpabilité, c’est presque de fatalité qu’il s’agit dans cette tragédie intime.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus sur le livre Profession du père, consultez le site des éditions Grasset.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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