American Predator : gros plan sur un profil de criminel aussi retors que dangereux

couverture du livre American Predator

Nouveau virage sur l’aile du côté des éditions Sonatine pour parcourir ce petit prodige de précision narrative qu’est le livre American Predator. Ou comment on a appréhendé le serial killer Israel Keyes et ce qu’il advint avant et ensuite.

Une course contre-la-montre

Direction les USA donc, pour suivre pas à pas l’arrestation d’un des tueurs en série les plus prolifiques du pays. Nous sommes en 2012 dans une petite ville de l’Alaska : une jeune vendeuse travaillant de nuit dans une station service est enlevée lors d’un braquage. Les enquêteurs, peu formés pour gérer une situation relativement rare dans ces contrées où tous se connaissent, doivent improviser. Et rapidement collaborer avec d’autres services de police dans d’autres états. Car le kidnappeur a visiblement embarqué sa victime loin de la zone de rapt. Une course contre-la-montre s’enclenche pour tenter de retrouver Samantha Koeing vivante.

Ce que les enquêteurs ne savent pas encore, mais ils vont très vite s’en douter, c’est qu’ils ont levé un lièvre bien plus gros que prévu. Un profil de criminel aussi retors que dangereux, qu’on arrêtera presque par hasard quelque temps plus tard… au Texas. Et là deuxième temps de cette équipée : faire avouer cet accusé aussi insaisissable qu’une anguille. «J’ai beaucoup d’autres histoires à raconter» avoue avec un brin d’humour Israel Keyes. Ce qui laisse présager que Samantha, dont on ne sait pas ce qu’elle est devenue, n’est pas la seule à figurer sur le tableau de chasse de ce prédateur. Les questions s’accumulent : où est Samantha ? Est-elle encore vivante ? Quelles sont les autres victimes de Keyes ? Où se situent les corps ? Pourquoi et comment Keyes opère-t-il ?

Confessions à décrypter

Journaliste pour le New-York Post, Maureen Callahan choisit un style très direct, très concis pour restituer ce sanglant fait divers daté de 2012. Étape par étape, elle détaille le travail des enquêteurs, comment ils s’organisent, comment ils préparent leurs interrogatoires, la manière dont ils mènent les fouilles. Elle évoque les tensions humaines comme les moments de complicité, les techniques utilisées pour sonder la psyché de Keyes, qui s’amuse beaucoup à jouer au chat et à la souris avec ses interlocuteurs. La moindre faille, il l’exploite : ainsi quand un procureur désireux de se mettre en valeur pour sa prochaine élection décide de mener les interrogatoires, alors qu’il n’est absolument pas formé pour ça. Keyes prend immédiatement l’ascendant.

C’est aussi tout l’intérêt de ce récit que de découvrir la façon dont un tueur en série manipule en permanence son entourage. Tous les portraits évoquant les grands serial killers évoquent ce point, mais ici, on découvre comment cela se met en place, comment cela se traduit. Au fait de ce phénomène, les enquêteurs se méfient et apprennent à louvoyer pour repérer les moments où Keyes les trompe, quand il dit la vérité. Mais un néophyte se ferait avoir sans même s’en rendre compte. Informations qu’on marchande, discours en demi-teinte, il faut lire entre les lignes de ces confessions qui n’en sont pas. L’atmosphère très particulière de ces échanges, appuyée par des citations, la restitution des paroles prononcées, nous happe et nous déstabilise.

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C’est tout l’intérêt du livre American predator que de proposer une plongée rare au cœur d’une investigation menée pas à pas, avec ses dysfonctionnements, ses révélations, ses temps forts, ses blocages. Et ses frustrations. Keyes se suicide dans sa cellule le 1er décembre 2012, au nez et à la barbe de geôliers pourtant avertis du danger qu’il représente. On ne saura jamais le nombre exact de ses victimes ni où elles reposent. Ultime affirmation de toute-puissance, contrôle absolu sur sa destinée et celle des autres. Comme l’explique l’auteure, «N’importe lequel d’entre nous aurait pu être une victime d’Israel Keyes».

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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