Goya et la modernité : la déliquescence à l’oeuvre

C’est ici la deuxième exposition consacrée par la Pinacothèque de Paris à l’approche du rapport entre l’artiste et le contexte dans lequel il évolue : influences, perceptions, retranscription, dénonciation, le créateur, peu importe sa discipline et son domaine d’expression, se saisit du monde pour en montrer les méandres.

Et dans le cas de Goya, ces méandres sont d’un sombre absolu, entre horreur, folie, dévastation et distorsion de l’être. Car le peintre de Cour reconnu et apprécié va s’illustrer également en stigmatisant les dysfonctionnements de son temps dans plusieurs séries de gravures hallucinantes. Hachures noires qui tailladent le papier, pour montrer la gangrène humaine, les bas fonds de la conscience, le crime à l’œuvre.

Scènes de jeux d’enfants qui exposent la misère de gamins vagabonds, Caprices publiés pour critiquer le fanatisme religieux et l’inquisition dans ses pires actions, Désastres de la Guerre observés au travers de la guérilla opposant troupes napoléoniennes et résistance espagnole, … l’exposition noie le visiteur sous une masse conséquence de gravures effrayantes, preuve de la prolixité de l’artiste, qui s’alignent sur les parois aux couleurs sombres et froides.

Les murs opaques font d’autant plus ressortir les traits, les figures déformées, les cauchemars et les chimères qui surgissent de cette observation sans pitié d’un univers violent et injuste, où le peintre saisit les âmes basculant dans la décomposition, transcrit le lent cheminement vers la transgression sexuelle, le meurtre, la souffrance infligée, le sadisme et la bestialité. D’une exactitude angoissante, ses perceptions sortent du cadre spatiotemporel pour embrasser des déviances universelles, qu’on retrouve à chaque conflit, dans chaque période de crise.

« La guerre est un fruit de la dépravation des hommes; c’est une maladie convulsive et violente du corps politique » explique Damilaville dans l’article « Paix » extrait de l’Encyclopédie. Les études de Goya héritent de cette définition propre aux Lumières, s’en font l’écho, explorant la désagrégation d’une société en proie à toutes les dérives, qui nourrit les égarements de l’esprit, autorise les écarts, les encourage même.

Une prise de conscience qui envahit le regard du peintre et qu’on sent difficilement contenue dans certains portraits aux contours flous, aux nuances glauques, rictus du visage, teint de la peau, regard vicié, qui trahissent à peine des désirs dangereux enfouis dans le secret des mémoires.

C’est peut-être là la véritable modernité de Goya que de mettre en lumière ces corruptions comme autant de portraits de Dorian Gray promis à la déliquescence.

Et plus si affinités

À la Pinacothèque de Paris, du 11 octobre 2013 au 16 mars 2014

http://www.pinacotheque.com/no_cache/fr/accueil/expositions/aujourdhui/goya-et-la-modernite.html

Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.