Onoda, 10 000 nuits dans la jungle : quand Harari raconte la volonté de survivre

Vivre sur une île au milieu des cocotiers, barboter dans le Pacifique, profiter du soleil tropical : certains en rêvent. Mais pour d’autres, cela tient plus du cauchemar, comme le démontre le film d’Arthur Harari, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle.

Règle absolue : survivre

Onoda donc, Hirō Onoda, jeune soldat japonais repéré par sa hiérarchie pour son sens de la survie. Une exception dans une culture vouée au bushido, code d’honneur du samouraï qui implique de se sacrifier pour sauver la mère patrie, quitte à balancer son avion dans les navires cuirassés de ces démons américains en passe de gagner la Seconde Guerre Mondiale.

Nous sommes en 1944 et le Japon, un genou en terre, organise la résistance. En secret, on sélectionne les profils les plus endurants afin d’en faire des experts de la guérilla. Objectif : ralentir coûte que coûte l’avancée des troupes ennemies. Méthode : investir les îles qui parsèment le territoire impérial et s’y retrancher en mode commando pour préparer la riposte. Règle absolue : survivre.

Un film très intimiste

C’est ainsi qu’Onoda, jeune sous-officier d’une vingtaine d’années à peine sorti de cette formation d’élite, se retrouve sur Lunbang dans les Phillipines. Accompagné d’une poignée de soldats triés sur le volet, il se perd dans la jungle, attendant l’ennemi. Il attendra 29 ans. Ce sont ces 29 années que raconte Harari dans Onoda, 10 000 nuits dans la jungle. Une fiction ? Non, Onoda a vraiment existé.

Il a fait l’objet de nombreux livres, de documentaires. Pour ses concitoyens, c’est encore aujourd’hui une véritable légende. Harari se saisit de ce mythe moderne pour en faire un film très intimiste. Pas un récit de guerre épique saturé d’effets spectaculaires (les rares scènes de combat se singularisent par une épure qui en soulignent du reste l’incroyable violence), pas un biopic lyrico-larmoyant. Non, c’est une approche tout en nuance qu’il propose.

Autopsie d’une conviction

Il s’agit d’explorer la psyché d’un homme qui se soumet volontairement à une solitude grandissante. Pas vraiment un Robinson Crusoé, puisque Onoda a accepté cette mission qu’il va accomplir jusqu’à la dernière seconde, même s’il y laisse sa jeunesse. Focalisé sur les ordres qu’on lui a donnés, il refuse de se rendre, même quand son père vient dans la jungle pour lui parler de loin, mégaphone à la bouche.

Fermement campé sur ses positions, Onoda s’obstine, interprète, convaincu qu’on lui tend un piège, que l’ennemi ruse pour lui faire rendre les armes. C’est cette volonté, ce besoin d’analyser les faits en les rapportant à sa propre logique, cet aveuglement soigneusement entretenu qu’Harari donne à ressentir. Tandis que son héros vieillit, tandis que ses compagnons petit à petit s’éteignent, sa seule planche de salut psychique, c’est sa foi, sa conviction.

Dignité et pudeur

Pourquoi alors, un jour de 1974, va-t-il accepter d’entrer en contact avec un jeune étudiant japonais venu le relancer au fin donc de sa forêt ? Quel est le déclic qui doucement le fait basculer vers ce retour à la vie ? L’isolement ? La fatigue ? L’instinct ? Pas de réponse, juste l’objectif de Harari captant les émotions affleurant à peine sur le visage de ses interprètes, Yūya Endō et Kanji Tsuda, qui incarnent Onoda à 20 et à 50 ans. Tout se joue dans le regard, c’est là que réside l’intensité de ce héros absolu, le dernier des « soldats restants ».

Un soldat dont le combat se situe en dehors des champs de bataille, au cœur d’un environnement particulièrement hostile, entre pluies diluviennes, chaleur étouffante, manque de nourriture, obligation de se cacher. Ce quotidien sordide, Onoda et ses compagnons l’assument malgré tout avec dignité et pudeur. Des cheveux que l’on tond avec attention, du linge rapiécé qu’on continue de laver, le journal de bord scrupuleusement documenté…

Rien du désespoir de Robinson Crusoe donc, ou de la démence d’Aguirre. La démesure ici relatée est bien plus discrète que la folie d’Herzog. Ici, pas ou peu de cris, même lors des périodes de tension, inévitables durant ce long huis clos, ces interminables années à attendre un ennemi qui n’existe plus. La sobriété des comportement se heurte à la nature, superbe et dangereuse. C’est tout l’attrait de ce film introspectif remarquable de justesse et de vérité.

Et plus si affinités

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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