Les fêtes de fin d’année, leur imagerie saturée, leur pouvoir affectif, leur excès de couleurs, de lumières, de symboles — tout cela semble à mille lieues de l’art contemporain, plus volontiers critique que lyrique. Pourtant, de nombreux artistes s’en emparent. Certains déconstruisent l’imagerie festive jusqu’au grotesque, d’autres la revisitent avec une ironie acérée, quelques-uns la réenchantent, comme pour rappeler qu’un rituel collectif peut encore contenir une forme de poésie.
Noël, Saint-Nicolas, les sapins, les guirlandes, les nativités… Les fêtes représentent un réservoir iconographique immense. L’art contemporain, toujours prompt à analyser les structures sociales et les fantasmes collectifs, y trouve un terrain fascinant : celui où la joie normée côtoie l’angoisse, où la tradition touche la consommation, où le sacré flirte avec le kitsch.
Le Père Noël crucifié : Maurizio Cattelan oul’ironie comme scalpel du mythe festif
S’il existe un artiste qui s’est approprié les symboles festifs pour les retourner contre nous, c’est bien Maurizio Cattelan. Chez lui, Noël devient un terrain de jeu où l’innocence et la provocation s’entrecroisent.
En 1996, Cattelan présente à Milan une œuvre devenue célèbre : un Père Noël pendu ou crucifié, parfois appelé Untitled (Père Noël) selon les variations d’expositions. Ici aucun blasphème : Cattelan interroge le glissement de la figure chrétienne centrale — le Christ — vers une icône consumériste universelle.
Ce renversement souligne la marchandisation de la fête, le remplacement du sacré par l’objet, la performativité du symbole lorsqu’il est vidé de son sens. La tradition est démontée comme un mécanisme dont les ressorts se sont usés.Cattelan n’est jamais frontal.Chez lui, Noël n’est pas attaqué : il est disséqué. L’artiste utilise l’humour noir, le malaise, l’ambiguïté. Le spectateur oscille entre rire et gêne, exactement comme lorsque la surcharge festive devient pesante.
Jeff Koons et le kitsch festif monumental
À l’opposé de Cattelan, Jeff Koons ne tourne pas les fêtes en dérision : il les magnifie, les amplifie, les hypertrophie jusqu’à créer un univers pop baroque où chaque ornement devient sculpture.
Koons a toujours été fasciné par les objets kitsch issus de la culture domestique, dont les décorations de Noël constituent l’un des plus beaux répertoires. Les finitions métalliques de ses Balloon Dogs, la luminosité miroir des Hanging Hearts, la grammaire enfantine de Play-Doh ou Puppy … ce n’est pas Noël stricto sensu, mais toute l’esthétique festive est là : le brillant, le gonflé, le sucré, le spectaculaire.
En agrandissant des objets domestiques jusqu’à l’échelle muséale, l’artiste leur rend une forme de majesté. L’accessoire le plus insignifiant — une boule de sapin, un jouet plastique — devient un artefact presque liturgique. Koons propose ainsi une lecture radicalement opposée à celle de Cattelan : là où l’un déconstruit Noël, l’autre le sublime.
Paul McCarthy, la fête comme cauchemar consumériste
Impossible d’aborder les fêtes dans l’art contemporain sans évoquer Paul McCarthy, maître de la parodie grotesque. Son célèbre Santa Claus (1997) — parfois surnommé Butt Plug Gnome par les spectateurs — résume parfaitement son approche : détourner les icônes familières pour exposer les zones d’ombre de la société.
Cette sculpture monumentale présente un Père Noël tenant une forme ambiguë, détournant instantanément la figure joviale vers l’objet-sexe, le malaise, l’excès. McCarthy montre la face cachée du folklore : consumérisme exacerbé, sexualisation implicite des mascottes, hypercapitalisme qui infantilise et dévore.
Dans cet univers, rien n’est sobre. Couleurs criardes, formes gonflées, gestes répétés : McCarthy joue la carte de la démesure, saisissant le moment où la célébration bascule dans le vertige, où l’on cherche la joie comme un produit. Son travail rappelle que les fêtes sont aussi, parfois, le théâtre d’une anxiété bien réelle.
Kiki Smith et Ai Weiwei : nativités revisitées, du sacré au politique
La crèche est l’un des motifs les plus revisités. Non pas pour provoquer, mais pour repenser l’idée même d’hospitalité, de vulnérabilité, de communauté.
Kiki Smith : le sacré réhumanisé
Les œuvres de Kiki Smith autour de la maternité et du corps vulnérable offrent une relecture subtile des iconographies chrétiennes. Ses sculptures translucides, ses madones diaphanes rappellent la fragilité de l’hiver et la douceur des récits d’origine.
Ai Weiwei : la célébration déplacée
Dans plusieurs installations, Ai Weiwei reprend les symboles occidentaux — sapin, étoiles, lumières — pour les insérer dans des contextes politiques.La fête devient un espace critique : un langage global que l’artiste détourne pour évoquer la surveillance, l’exil, l’autorité.
James Turrell & Tatsuo Miyajima : célébrer par la lumière
Les installations lumineuses constituent un chapitre essentiel de cette relecture contemporaine des fêtes.
James Turrell ou la lumière comme présence divine
Les Skyspaces de Turrell, bien que non liés exclusivement à Noël, dialoguent avec la saison : le ciel d’hiver, plus pâle, devient une matière. La lumière y est presque spirituelle — un équivalent contemporain de l’étoile symbolique.
Tatsuo Miyajima : le compte à rebours
Ses installations à LED, faites de chiffres lumineux qui défilent, évoquent les rituels de la fin d’année : le passage, la mesure du temps, la fragilité de chaque unité. Une fête sans folklore, mais portée par l’idée fondamentale du cycle.
Entre déconstruction et réenchantement, les fêtes comme miroir de nos désirs
Les artistes contemporains, qu’ils soient iconoclastes (Cattelan), baroques (Koons), grotesques (McCarthy) ou poétiques (Smith), ne s’y trompent pas : les fêtes offrent un théâtre incomparable qui cristallise une tension universelle : l’envie de croire à un moment suspendu, et la conscience aiguë de son artificialité.
Ce mélange unique de sacré, de consommation, de tradition et de démesure ouvre un territoire où l’on peut rire, pleurer, critiquer, ou rêver — parfois tout en même temps. L’art contemporain y trouve une matière précieuse : le rituel ultime de la société moderne, celui où l’on s’autorise à chercher le merveilleux, même en connaissant parfaitement le trucage.
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