Compagnie Carré Blanc : Dans la boucle, trop la zone (de confort) !

Zoé, Bryan et Yane sont trois jeunes chorégraphes qui signent leur première création – Dans la Boucle – sous le regard bienveillant de Michèle Dhallu, directrice de la compagnie Carré Blanc pour laquelle ils dansent au quotidien. Rencontre avec un trio qui s’apprête à jouer ce spectacle pour la première fois sur Paris avant de s’atteler au OFF d’Avignon.

Chacun sa façon de contourner sa routine

Dans la Boucleporte un regard poétique sur notre ordinaire. Cette création interroge nos routines et notamment le fait qu’elles peuvent être source de créativité, d’invention et de jeu. Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel sujet ?

Nous avons commencé la création dans les mois qui ont suivi le confinement. Nous venions de vivre une période unique, où le temps a été propice à l’observation et à l’introspection. Limités dans nos espaces de vie, nous avons rapidement senti la routine s’installer dans nos existences. L’idée deDans la Bouclea donc pris racine à cet instant. Nous avons puisé dans ces habitudes gestuelles pour les mettre sur scène, et ainsi proposer une création qui serait le témoin d’un vécu commun. Nos recherches nous ont menés à Stefano Boni, auteur deHomo confort, qui nous a donné l’idée du grain de sable, cet imprévu qui allait chambouler nos routines.Dans la Boucleest une pièce chorégraphique qui souhaite offrir différents niveaux de lecture et qui se veut donc accessible à tous !Dans la Boucle, c’est l’envie de se retrouver pour partager sourires, souvenirs ou anecdotes dans un moment dansé et poétique.

Comment vous-même combattez-vous la routine ronronnante de votre quotidien ?

Bryan évoque l’instant présent, avec comme objectif de le savourer. Zoé chine l’imprévu et Yane scrute l’énergie créatrice nichée dans son quotidien. Finalement, chacun a sa façon de contourner sa routine ! Nous sommes tous différents et c’est ce qui fait la beauté de notre planète. Si certains aiment ce quotidien « rassurant », d’autres sont friands d’inconnu et d’imprévus, l’important pour nous est de savoir goûter la vie.

En nous privant de toute expérience considérée comme désagréable ou négative, le confort nous enferme dans un cocon protecteur qui nous coupe du monde extérieur et de nous-mêmes, de tout ce qui fait le « sel de la vie » “écrit l’anthropologue Stefano Boni qui vous a inspirés. Quel serait pour vous le sel de la vie ?

Le sel de la vie, ce sont les frissons, la peur, l’inconnu et les doutes, mais aussi l’émerveillement, la joie immense et le réconfort. Le sel de la vie est l’épice qui permet de pimenter notre quotidien ! Un ingrédient indispensable à avoir, mais qui peut être difficile à doser. Et comme le dit Françoise Héritier, «ce sont tous les petits plaisirs, mais source de grand bonheur qui jalonnent l’existence.»

« Une création collective implique d’avoir une certaine confiance »

Dans la Boucleest votre première création. Vous créez à trois. Quid de votre processus créatif, de votre mode opératoire ?

Nous avons tour à tour été chorégraphes pendant la création deDans la Boucle. Ce fonctionnement nous a permis de changer de point de vue. C’était l’opportunité d’affirmer nos choix artistiques tout en nous sachant entourés de la bienveillance des deux autres. Une création collective implique d’avoir une certaine confiance, une ouverture d’esprit, une grande disponibilité ainsi qu’une franchise dans nos rapports. Nous avons passé six semaines à créer du matériel chorégraphique, à partir de consignes d’écriture et d’improvisation. Lorsque nous avons trouvé le point de rendez-vous entre nos trois personnalités, les éléments se sont imbriqués dans une belle fluidité. Michèle Dhallu a suivi l’avancée de l’écriture, nous a poussés dans nos idées, nous a rassurés sur nos doutes. Les trois dernières semaines ont été consacrées à la construction de la pièce telle que vous pouvez la découvrir aujourd’hui. La période de création n’a cessé d’être ponctuée de moments d’échanges avec Michèle, mais aussi Coline, notre scénographe et l’équipe technique.

Hip hop, danse jazz, danse contemporaine… la création est fortement métissée à l’image des créations de la compagnie Carré Blanc. Là encore, comment doser au plus juste ces différents univers ?

La danse contemporaine est le pilier de cette création comme la plupart des spectacles de la compagnie. Nous nous sommes rencontrés sur la dernière création de Michèle,Borders and walls. À l’époque, elle cherchait des interprètes de techniques différentes avides d’aller vers d’autres horizons. Tout en étant différents, nous sommes complémentaires. Yane a pratiqué le cirque et la danse contemporaine, elle nous a apporté le travail au sol. Zoé a été le point fort en termes de dynamique et de musicalité. Bryan, lui, a apporté sa précision hip-hop et le travail de portés. Nous ne voulions pas passer d’un style à l’autre, mais bien les métisser. Un même mouvement de bras peut être dansé hip-hop ou contemporain : juxtaposés, «ils ne sont ni tout à fait le même ni tout à fait un autre» comme dit Verlaine. Une touche d’humour et de comédie s’est ajoutée à cela pour faire naître un univers atypique.

Michèle Dhallu, directrice de la compagnie Carré Blanc, vous accompagne sur ce projet. En quoi son regard extérieur vous a aidés pour ce premier opus ?

Être chorégraphe et danseur en même temps n’est pas chose facile selon nous ! Nous l’avons expliqué précédemment, mais Michèle a été très présente pendant la création, en réunion ou en studio. Son expérience et son recul lui permettent d’identifier rapidement ce qui se joue sur scène. Elle vient soulever des questions, souligner des dysfonctionnements ou mettre en avant ce que l’on croyait être un détail. Nous n’avons pas le même ordre des priorités et c’est bien sa synthèse et son œil affûté qui nous ont permis de faire un bond en avant dans notre artistique.

« La danse, art non verbal, est accessible à tous »

Suite à cette première expérience, imaginez-vous poursuivre vos efforts ? Si oui toujours à trois ?

Vous ne croyez pas si bien dire ! L’aventure se poursuit effectivement, puisque nous entamons une nouvelle création, mais cette fois-ci à quatre (avec Michèle).Qui ? Que ? Quoi ?est un projet dans lequel chacun sera chorégraphe d’une grande question de la société actuelle. Cette production verra le jour à l’automne 2024 ! Michèle Dhallu nous a également proposé une direction collégiale de la compagnie, ce à quoi nous avons dit oui !

Dans la Boucleest une pièce à destination du jeune public. Pour une première création, c’est assez courageux. Qu’est-ce qui vous a motivés dans le choix d’un tel public ?

Michèle chorégraphie depuis longtemps pour l’enfance, persuadée de l’adéquation du public avec la danse. Cet art non verbal est accessible à tous. Écrire pour le jeune public demande une grande exigence, il faut parler à tous les âges de la vie ; en fait écrire jeune public, c’est écrire tout public, au sens premier du terme. AdresserDans la Boucleau jeune public a donc été une évidence pour nous. Nous aimons les réactions des enfants en spectacle, les échanges après les représentations, les retours des parents/accompagnateurs. Alors pourquoi ne pas continuer à écrire pour le jeune public ?

Après votre passage au Lavoir Moderne Parisien, vous tiendrez la scène un mois durant pendant le OFF d’Avignon. On sait ce moment aussi excitant qu’épuisant. Comment s’y prépare-t-on (et là, on peut parler de routine santé !) ?

Oui, vous avez raison, c’est épuisant ! Avignon, ce n’est pas seulement une heure sur scène par jour, mais aussi et surtout tenter de remplir les salles et aller chercher le public ! Nous nous mettons en condition pour ce mois bien chargé : une bonne alimentation, un respect de son corps, une préparation physique et on est partis ! Pour avoir présentéBorders and wallsà Avignon l’année dernière, c’est en effet une période très intense physiquement, mais nous sommes très vite rattrapés par le plaisir d’être sur scène !

Merci à Zoé, Bryan et Yane pour leur temps et leurs réponses.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus les prochaines dates de Dans la Boucle, consultez le site de la compagnie Carré Blanc.

Dieter Loquen

Posted by Dieter Loquen

Natif de Zurich, Dieter Loquen a pris racine à Paris il y a maintenant 20 ans. On le rencontre à proximité des théâtres et des musées. De la capitale, mais pas seulement. Il aime particulièrement l'émergence artistique. Et n'a rien contre les projets à haut potentiel queerness.