Difficile de visionner Interview with a vampire ou Sinners sans penser quasi automatiquement au superbe et redoutable Angel Heart. Alan Parker signe là un film d’anthologie au récit prenant, aux images coup de poing, à l’atmosphère fétide. Un véritable chef d’œuvre et une leçon magistrale de narration cinématographique qui laisse encore pantois.
Révélations et cadavres
Nous sommes en 1955 : Harold S. Angel est un petit détective privé new-yorkais sans grande envergure. Il est engagé par le très élégant et mystérieux Louis Cyphre pour retrouver le crooner Johnny Favorite qui a une dette envers lui. Crooner qui a disparu des radars en pleine seconde guerre mondiale puis qui remonte à la surface blessé, défiguré et amnésique.
Enfin ça c’est la version officielle. Plus Angel avance dans son enquête, plus cette version s’étiole. Et les rencontres étranges de se multiplier, les révélations de s’accumuler. Les cadavres aussi : chaque témoin qu’Angel débusque est mis à mort dans la seconde, et de manière aussi brutale que sanglante.
Rouler le Diable dans la farine
D’abord à New-York puis à la Nouvelle-Orléans où Angel infiltre à son corps défendant les milieux du vaudou et de la magie noire. Favorite flirtait décidément avec des gens peu fréquentables, pour ne pas dire maléfiques. A moins que ce soit lui qui soit allé trop loin, vendant son âme au Diable ? Et Angel dans tout ça ? A quel point est-il impliqué dans cette histoire ?
Je n’en dis pas plus sinon qu’il ne faut surtout pas chercher à rouler le Diable dans la farine, c’est perdu d’avance. Et que le récit concocté par Alan Parker est démoniaque à plus d’un titre. Le réalisateur de Midnight Express, Pink Floyd The Wall, Birdy, Fame, Mississippi Burning ou The Commitments pour ne citer qu’une infime partie de ce flamboyant palmarès, accouche ici d’un scénario aussi alambiqué qu’efficace.
Chemin de croix à rebours
Il y ajoute une réal nerveuse, pesante, oppressante, poisseuse. Chaleur et pluie diluvienne, odeur du sang éclaboussant les murs lépreux, gorgeant les parquets sales, silhouettes ténébreuses, ombres démesurées, images récurrentes de cages d’escaliers, d’ascenseurs, de grilles et de ventilateurs, le tout sur une musique désespérante dévoilant une plainte de saxo : tout dit le chemin de croix à rebours d’un Angel victime et bourreau.
Les plans rapprochés détaillent les mains, les bijoux, les pentacles ornant les bagues ou les colliers, les autels vaudous, les statues des saints dans des églises étouffantes et poussiéreuses. Les détails nous sautent au yeux comme autant d’indices perdus dans une masse en décomposition. La violence est partout, cernant cet anti-héros merveilleusement porté par un Mickey Rourke à contre-emploi et cela lui va si bien.
Un film à scruter
Pleutre, charmeur, paumé, terrorisé, ambivalent : au cœur de cette Louisiane ancrée dans les croyances ancestrales, bercée par le blues et les lourds parfums de fleurs pourries, assommée de chaleur, où la sueur ronge les peaux et les âmes, Angel retisse le tracé de son destin contraire. Et ce n’est rien de dire qu’il est funeste.
Que dire de plus sinon que ce film est à voir, à revoir. Qu’il est à scruter dans ses moindres détails, que Robert de Niro y fait une apparition mémorable complétant ainsi sa déjà très large palette de rôles d’une touche luciférienne très appréciable. Chaque cadrage, chaque plan, chaque mot est à prendre en considération dans ce rébus nocif où les tabous sont transgressés, où l’humain flirte avec le surnaturel en permanence, où les mondes se frôlent, où la Mort et le Mal règnent en maître sur la vie.
Virtuose de l’écran, Parker explose les codes du film d’horreur et du polar, allant au delà du tolérable dans ce conte de terreur. Il réalise là l’un de ses films les plus puissants, les plus marquants. Peut-être le plus sombre.
Et plus si affinités ?
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