
Quand il s’agit de dire les choses clairement, Kathryn Bigelow n’a que peu de concurrents. On se souvient encore du magistral Zero Dark Thirty qui abordait sans concession la traque de Ben Laden, entre course à l’information quitte à user de la torture et attentats en série. Très musclée et incisive dans ses approches, Bigelow remet le couvert avec A House of dynamite. Et cela n’est pas fait pour nous rassurer.
Le cul sur un caisson de TNT
Car la dame déterre une menace oubliée : la peur d’une guerre nucléaire. Née en 1951, elle a grandi en pleine guerre froide quand les bombes A, H et consort proliféraient à la surface du globe. Avec la Détente, le péril atomique a doucement été écarté (pour preuve il déserte progressivement les épisodes de la saga James Bond qui lui préfèrent la question de l’eau, du pétrole, des médias ou d’internet et de la surveillance numérique). Mais pour Bigelow, c’est se mettre la tête dans le sable que d’ignorer un danger omniprésent dans un univers où, paradoxe des paradoxes, on communique de plus en plus mal.
D’où A House of dynamite qui revient à dire que nous avons tous le cul sur un caisson de TNT prêt à péter. Et si cela arrivait, nous serions loin de pouvoir gérer la crise. Tout commence en mode « banalité du quotidien » pour ces femmes et ses hommes impliqués à différents niveaux dans la sécurité des USA. Sauf qu’en une micro-seconde, un missile nucléaire sorti d’on ne sait où vu qu’un radar a merdé fait basculer cette quiétude qui a tout de la torpeur. Et là c’est le bordel débouchant sur le chaos. En 19 minutes, c’est plié. Le bazar n’a pu être neutralisé, il tombera à l’aveugle sur le sol américain.
Neutraliser … à l’aveuglette
A partir de là, que fait-on ? Évacuer les populations ? Pas le temps, on exfiltre les plus importants, les autres y resteront, tant pis (sympa pour Mr Tout-Le-Monde, vous et moi donc, qui seront incinérés en une micro-seconde s’ils ont la chance d’être au point d’impact). Répliquer ? Il faudrait, histoire de neutraliser d’autres lancements. Sauf qu’on ne sait pas qui a paramétré le missile et qu’en neutralisant à l’aveuglette, on encourage vivement les autres (Russes, Chinois, Coréens du Nord, Iraniens et autres) à répliquer voire même à anticiper en balançant leurs ogives sur le pays de l’oncle Sam. Se concentrant sur ces 19 minutes cruciales, Bigelow évoque trois strates décisionnelles : postes techniques (Alaska/Missile Defence), commandement central (STRATCOM), Maison-Blanche et Président. Et chaque strate, c’est juste la confusion.
Des protocoles qu’il faudrait appliquer à la lettre mais qui ont des angles morts à foison (big up au cahier de lancement des ogives nucléaires qui ressemble à un menu de restau) ; des décideurs qui perdent de précieuses minutes à douter puis à discutailler quand ils ne perdent carrément pas les pédales ; des outils qui dysfonctionnent qu’on de semande si ce n’est pas le destin qui fait exprès (écrans qui merdent, portables qui lâchent, réseaux en rideau…). Franchement pas glorieux mais si réaliste à l’heure de coupes budgétaires qui restreignent moyens technologiques et humains). Et c’est bien là que ça vous fiche un upercut. Le récit de Bigelow est réaliste. Pas du délire, mais la réalité comme se plaît à le rappeler un général au POTUS incarné par un Idriss Elba saisissant de vérité dans son angoisse et ses doutes.
Démolir le MAGA spirit
Là où il faudrait communiquer le plus fluidement possible pour éviter l’escalade et le point de non retour, c’est juste inaudible d’un bout à l’autre de la planète. L’expérience de la crise Cuba débouchant sur l’installation du téléphone rouge n’aura finalement pas servi longtemps de leçon. Retour au point 0, aberration sans nom à l’heure du tout numérique. Tout numérique qui ne sert plus à grand-chose quand il ne reste que deux minutes avant l’impact fatal et que vous n’avez d’autres options que d’appeler vos proches pour leur dire combien vous les aimez alors que vous savez qu’ils vont mourir et que vous n’y pouvez plus rien.
Clairement le film va vous secouer et pas forcément vous plaire. Pour tout dire, le Missile Defense Agency (MDA) et le Pentagone ont sorti les crocs, prétextant que leur système d’interception était infaillible (dixit The Independant), ce que le film contredit. Idem avec Trump qui n’est pas ravi ravi de l’image de vulnérabilité renvoyé par un récit qui démolit le MAGA spirit sans pitié… et à raison ? Difficile d’observer ces images, ces situations ô combien délicates sans penser à ce que ferait Trump en semblable posture. Pas dit qu’il jouerait sur la diplomatie. Or c’est de cela qu’il s’agit. Savoir stopper ses élans de soit-disant male alpha pour essayer de préserver ce qui peut encore l’être. Et cela, nous savons tous que le monsieur en est incapable.
Un scénario réaliste
On pourrait se dire que Bigelow exagère. Problème : le scénario signé Noah Oppenheim a été façonné avec des spécialistes, des experts, militaires, anciens responsables, personnes ayant travaillé dans les « rooms » de crise du Pentagone et du STRATCOM (cf l’article de Netflix expliquant le pourquoi du comment) ; il regorge de références, d’acronymes, de termes techniques), est d’une rare précision sur les protocoles, les organigrammes. Il restitue avec pertinence la montée en tension, la manière dont chacun.e va gérer ce basculement. Servi par un casting de haut vol (Elba pré-cité, Rebecca ferguson, Jared Harris, Jason Clarke, Tracy Letts, Gabriel Basso, Moses Ingram et consort), le récit fait le lien entre événement, gestion de la crise et des émotions générées.
Doute, aveuglement, anxiété, terreur, chagrin, frustration… toute la palette des sentiments les plus intenses saisit ces personnages confrontés à un impensable qu’ils sont sensés pour gérer (ils sont formés pour, comme ils aiment à le répéter). Mais peut-être le croient-ils un peu trop. Ce n’est pas la première fois, que les USA, convaincus de leur toute puissance, se plantent. Forte d’un regard journalistique sans concession, Bigelow tire ici la sonnette d’alarme à raison ; à l’heure où les tensions géopolitiques se multiplient (Russie/Ukraine, Chine/Taiwan), ce film entre docu-fiction et thriller tombe à point pour sensibiliser, sinon les puissants, du moins les populations. Et il y parvient magistralement.
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