Exposition « Trésors sauvés de Gaza » : quand la guerre efface aussi la mémoire

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affiche de l'expo Trésors sauvés de Gaza

On parle souvent des morts, des blessés, des déplacés. C’est normal : la guerre tue, la guerre mutile. Mais elle fait aussi autre chose, plus insidieuse : elle efface la mémoire. À Gaza, ce n’est pas seulement une population qu’on cherche à anéantir, c’est aussi un patrimoine, des siècles de présence humaine, des racines qui s’étendent bien avant les frontières modernes. L’exposition Trésors sauvés de Gaza – 5 000 ans d’histoire, présentée à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 2 novembre 2025, nous le rappelle avec une force implacable.

Des pièces venues de l’exil

L’histoire de cette exposition commence loin de Paris, à Genève. Depuis 2007, le Musée d’Art et d’Histoire conserve 529 pièces archéologiques appartenant à l’Autorité nationale palestinienne, dans l’attente d’un retour impossible vers Gaza. Des objets couvrant cinq millénaires, de l’âge du Bronze à l’époque ottomane : mosaïques, amphores, statuettes, stèles funéraires, lampes à huile. Une mémoire matérielle que la guerre a figée en exil.

À Paris, ce sont 130 de ces chefs-d’œuvre qui sont montrés pour la première fois, accompagnés de la collection privée de l’homme d’affaires Jawdat Khoudery, donnée en 2018 à l’Autorité palestinienne. Des fragments d’histoire, mais aussi des preuves matérielles que Gaza a toujours été un carrefour : phénicien, grec, romain, islamique. Une terre traversée, habitée, transformée.

Montrer l’absence, dire la perte

Mais l’exposition ne se contente pas de célébrer ce passé. Elle documente aussi la disparition en cours. Grâce à des photographies d’archives (issues notamment de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem) et à une cartographie satellite actualisée, elle révèle les dégâts des bombardements récents. Au 25 mars 2025, 94 sites ont été détruits ou endommagés : 12 lieux de culte, 61 bâtiments d’intérêt historique ou artistique, 7 sites archéologiques. (Institut du Monde Arabe)

L’UNESCO confirme ce constat : plus de 110 sites culturels vérifiés ont subi des dommages depuis octobre 2023 — mosquées, églises, bibliothèques, musées, monuments, jusqu’au monastère de Saint Hilarion, classé au patrimoine mondial en péril (UNESCO). Autant de points de repère effacés, de lieux de mémoire réduits à des gravats.

Le patrimoine comme victime collatérale

Ces destructions ne sont pas accidentelles. Elles s’inscrivent dans la logique implacable d’une guerre totale : il ne suffit pas de tuer les vivants, il faut aussi couper les racines, effacer les traces, empêcher la transmission. En détruisant le patrimoine, on détruit l’identité collective, on condamne une société à l’amnésie.

Mais ce qui est montré à Paris démontre aussi l’inverse : qu’il reste toujours des fragments à préserver, à raconter, à exposer. Que même en exil, ces trésors continuent de parler. Ils disent la continuité d’une histoire, l’inscription d’un peuple dans le temps long, bien avant les conflits actuels.

Exposer pour résister

Trésors sauvés de Gaza n’est pas une exposition comme les autres. C’est un acte de résistance culturelle. En donnant à voir ces objets, l’Institut du Monde Arabe rappelle que la mémoire ne disparaît pas aussi facilement. Qu’il existe des gardiens, des musées, des institutions, prêts à accueillir ces témoins pour les protéger du chaos.

Mais cette sauvegarde pose aussi une question vertigineuse : que signifie sauver un patrimoine si le lieu auquel il appartient est détruit ? Si Gaza n’est plus qu’un champ de ruines, où reviendront ces trésors ? À quelle mémoire s’arrimeront-ils ?

La mémoire comme champ de bataille

C’est peut-être la leçon ultime de cette exposition : dans une guerre, les humains ne sont pas les seuls à tomber. Leur histoire, leurs symboles, leur héritage sont tout autant menacés. Et les protéger devient un geste vital, presque politique.

Aller voir Trésors sauvés de Gaza, c’est comprendre que derrière chaque ruine, il y a un passé effacé. C’est accepter que la guerre ne se contente pas de faire des victimes, mais cherche aussi à anéantir la mémoire. Et c’est choisir, en tant que visiteur, de ne pas laisser ce passé disparaître dans le silence.

Et plus si affinités ?

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Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.