« Grand Amour » d’Eva Ionesco : un ange sur les marches du Palace

The ARTchemists Grand Amour Eva Ionesco

Après Innocence et Les Enfants de la nuit, Eva Ionesco accouche d’un magnifique Grand Amour qui clôt le triptyque consacré à son enfance martyre. Au cœur de ce récit aux accents poétiques poignants, Charles, apparu dans les dernières lignes de l’opus précédent, un ange posé sur les marches du Palace.

Une voie vers l’émancipation

C’est là qu’on le retrouve, au début de ce conte amoureux d’une grande fraîcheur. Fraîcheur qui tranche avec le cynisme des romans précédents, comme une preuve littéraire de rédemption en marche. Car c’est ce que Charles Serruya fut et fit : un ange œuvrant sans répit et avec une loyauté sans faille à la rédemption de la petite Eve souillée depuis le berceau par la folie d’une mère ogresse.

Cette dernière ici s’estompe, distancée, écartée par la lumière de cet amour si pur, si vrai, si fort. Un amour qui se déploie dans un Paris nocturne voué à la fête et aux excès ; malgré la drogue, malgré les passages en centre de placement pour mineurs de la DDASS, cet amour tient, se renforce, se construit. Non comme un avenir mais comme une voie vers l’émancipation.

Paul et Virginie à l’heure du clubbing triomphant

Une passerelle vers la liberté, une parenthèse enchantée, éphémère mais durable, immuable. De page en page, Eva, adolescente de treize ans, cautérise ses plaies d’enfance sous l’oeil attendri d’Eva adulte. Un œil attendri certes mais toujours aussi précis : les souvenirs s’enchaînent qui racontent cette passion lumineuse et donnent à voir l’univers si particulier des fiestas d’alors.

Christian Louboutin, Edwige, Alain Pacadis, Pierre et Gilles, Lagerfeld, Paquita… tous se croisent, échangent, créent, se disputent, se cament, font les fous, tandis qu’au premier plan Eva et Charles s’aiment. Rien de sordide dans leur relation, ce ne sont pas des doublons de Sid et Nancy, mais leurs opposés. Quelque chose de Paul et Virginie à l’heure du clubbing triomphant.

Faire patte de velours

Deux ovnis qui se rencontrent et fusionnent, avec en partage le goût pour la poésie, la grande littérature, le cinéma d’auteurs, la musique rock et les folles soirées sur les dancefloors. Une fois de plus, on est frappé par la maturité de cette gamine grandie trop vite et qui galope après une pureté enfantine qu’elle ne retrouvera jamais, parce qu’on l’en a privée à peine venue au monde.

Mature, lucide, femme dans un corps d’adolescente pulpeuse, Eva face à Charles perd de sa brutalité, son langage s’adoucit, la petite harpie qui crachait son venin pour se protéger de sa mère et du monde fait ici patte de velours, se love contre ce garçon qu’elle considère comme son homme, et découvre les merveilles du monde, Venise, New-York, l’Égypte … et puis Paris.

Zones de protection

L’autre grand amour d’Eva. Paris, ses rues, ses nuits, son souffle, son rythme, sa respiration. Eva Ionesco a une manière unique de décrire ce Paris qu’elle adore, dont elle connaît chaque rue, chaque quartier et qui pourtant n’a jamais cessé de la surprendre, de l’émerveiller, aujourd’hui encore. L’amant et la ville ici se confondent, comme deux zones de protection, deux safe spaces.

Des espaces de vie, où évolue la femme adulte et la petite fille blessée qui sommeille toujours en elle. Des espaces de résilience également, que l’autrice chérit avec tendresse, sacralise. Charles, toujours demeurera ce grand amour salvateur, cet ange protecteur, ce regard qui sécurise, encourage. Aujourd’hui encore, en dépit du temps qui passe, des séparations, il est là, présent. Complice.

Cette complicité amoureuse qui perdure quand les sentiments se transforment, c’est ce qu’Eva Ionesco arrive à transmettre à demi mot, subtilement. Après la violence à l’oeuvre dans les deux premiers tomes de son autobiographie, Grand Amour s’impose comme un moment de très grande douceur, de réconciliation, un instant de grâce simple et magique à la fois, qui échappe à la niaiserie des faux sentiments, des attirances factices pour interroger ce qui fait la puissance d’un attachement sincère.

Et plus si affinités ?

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Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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