Chaos : être femme n’est pas toujours chose facile

Chaos : non, le film de Coline Serreau ne parle pas de la fin du monde, il parle de la fin d’un monde, celui d’une bourgeoise enfermée dans sa petite vie tranquille, que la rencontre avec une prostituée va chambouler. Définitivement.

« Violence » est un euphémisme

Je tombe sur la première séquence de Chaos alors que je m’apprête à un ultime zapping pré-sommeil. J’éteindrai la télé une heure quarante-neuf minutes plus tard, suffoquée par la violence de ce petit bijou tourné en 2001. Il faut dire que Coline Serreau tape fort dès l’intro… et durant tout le film. De fait, « violence » est un euphémisme. En nous contant comment Malika la prostituée (sidérante Rachida Brakni) surgit dans la vie d’Hélène (Catherine Frot, également parfaite) et Paul pour y répandre ce fameux chaos dont on n’imagine pas les retombées, la réalisatrice de Trois hommes et un couffin tranche brutalement avec les comédies dont elle était jusqu’alors coutumière, tout en restant dans ces portraits de personnages si attachants, ici conjugués au féminin :

  • Malika donc, 20 ans, algérienne d’origine, prostituée de force, droguée, violée, torturée, battue, qui n’a pas eu d’autre solution pour échapper au mariage forcé orchestré par un père ignoble que de fuir vers un enfer dont elle veut s’échapper à tout prix ;
  • Hélène, la quarantaine, un mari indifférent, Paul (Vincent Lindon, excellent), absorbé par son boulot à la limite de la grossièreté et qui la prend pour une bonniche au même titre que son incapable de fils qui collectionne les petites copines ;
  • Mamie, la mère de Paul, que son fils refuse de voir et qui vieillit seule dans le mépris condescendant de ce garçon qu’elle a trop gâté.

Ces trois générations de femmes jumellent leurs souffrances pour les annuler sous l’impulsion d’une Malika martyre qui n’aura de cesse de se venger et de préserver l’avenir de sa petite sœur en lui évitant le sort funeste d’un mariage arrangé. De fait, le récit met en pratique les préceptes féministes de Choderlos de Laclos – «Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! » – en y mêlant un certain penchant pur la rébellion : «On ne sort de l’esclavage que par une grande révolution« . Aucune faille dans ce scénario minuté comme un polar doublé d’un pamphlet féroce contre une société où être femme n’est pas toujours chose facile, loin s’en faut.

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La chose en serait presque dérangeante de militantisme sous-jacent. D’un autre côté, comment ne pas s’indigner devant le traitement réservé aux filles contraintes à la prostitution par des marchands de chair sans scrupules ? De fait et à ce niveau le film se hausse au stade de La dérobade ou Truands, où les rouages de la traite des blanches sont démontés sans pitié. Il y ajoute la ségrégation religieuse que subit le beau sexe, souvent écrasé par la force de traditions misogynes que cultures occidentale et orientale se partagent à égalité.

L’incursion dans la vie de couple et de mère d’Hélène n’est guère plus glorieuse à ce titre que l’évocation de la famille de Malika. En soulevant ce voile, Coline Serreau révèle un mécanisme insidieux, trouble, où la sexualité devient marchandage et possessivité. Si l’ancienne garde, incarnée par une Line Renaud d’une très grande humanité, accepte son sort, les générations suivantes rechignent et agissent, laissant là ces messieurs dévastés, aux prises avec la vaisselle et le repassage, la honte, la bassesse et la lâcheté.

On aime plus particulièrement Catherine Frot qui campe une Hélène en pleine émancipation, les cadrages, nerveux en diable, la couleur bleutée du film, la pudeur qui règne, même dans les scènes de la maison de dressage, où l’on viole les futures prostituées à répétition. La dernière image ramène la paix : quatre générations de femmes qui contemplent la mer avec des étoiles dans les yeux. On regrette que pas un seul des personnages masculins n’ait de réèlle valeur, comme si le salut ne pouvait être que dans l’amazone attitude et le repli au fin fond du gynécée.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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