In the flesh : on est toujours le zombi de quelqu’un.

Quand l’ensemble des livres/ films/séries/jeux vidéos et autres produits culturels se focalisent sur la gestion de l’apocalypse zombi avec moult effets gore, la série britannique In the flesh se concentre sur les lendemains de la catastrophe. Et ce n’est pas forcément plus tranquille et conciliant, bien au contraire.

Zombi en rémission

Le pitch ? Kieren Walker fait partie des 140 000 décédés qui sont revenus à la vie durant « La Résurrection ». Et comme tout bon zombi qui se respecte, il a agressé/tué/mangé des gens. Jusque-là, rien que de très normal pour un mort-vivant, sauf que Kieren, épargné par les massacres opérés par les milices armées, est désormais guéri. Suivi par le corps médical, contrôlé par les autorités, on accepte que ce zombi en rémission réintègre sa famille pour peu qu’il subisse une injection quotidienne afin de maîtriser son appétit, qu’il se maquille et porte des lentilles quand il sort, afin de cacher son état et ne gêne pas les vivants.

Car, qu’il le veuille ou non, Kieren est un Survivant du Syndrome de la Mort Partielle, et il le porte au physique et au mental. Poursuivi par le souvenir des meurtres qu’il a commis, il est assailli de cauchemars, dévoré de culpabilité, soumis à un stress chronique. C’est dans cet état précaire qu’il retrouve les siens, pas forcément si contents que ça de récupérer ce garçon dont ils ne savent plus rien. Ses parents ne savent comment l’aborder, alors qu’ils n’ont pas encore digéré sa mort ni fait leur deuil, sa sœur, héroïne respectée des milices, tueuse de zombis experte et adolescente en crise, refuse de lui adresser la parole.

Rapports de force et discriminations

Ambiance d’autant plus détestable que Kieren habite dans un village paumé au milieu de la lande, une petite communauté où le groupe prime sur l’individu, où on a la rancune facile, où les victimes, nombreuses, laissent beaucoup de regret, de chagrin et de rage, où on juge les « pourris » comme dangereux et tout juste bons à être exterminés. Dans ce contexte, la réintégration de Kieren va être délicate pour ne pas dire chaotique. Car la politique et les égos s’en mêlent. Durant la « guerre pâle », des clans se sont formés, certains ont gagné en visibilité, en importance, en pouvoir… et ils n’ont pas l’intention d’abandonner cette puissance ni ce statut de supériorité.

Durant deux saisons prenantes, Dominic Mitchell, créateur de la série, autopsie les interactions et les rapports de force qui déchirent ce microcosme incapable de panser ses plaies. Et cela fait mal, très mal. Car bien avant la Résurrection, les discriminations étaient déjà quotidiennes. Racisme, homophobie, harcèlement, handicap, il ne fait pas bon être différent dans cette communauté où la moindre remarque, la moindre objection est écrasée dans l’œuf d’une bienséance hypocrite et autrement plus moisie que les zombis sortis de leur tombe. Brimades, insultes, violences, exploitation, ce retour à la vie normale s’accompagne de mesures intolérables pour les agresseurs d’hier à qui l’on refuse toute excuse, toute miséricorde.

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Passivité ou provocation ?

En résumé, on est toujours le zombi de quelqu’un. Les choses s’enveniment quand ces derniers se radicalisent, revendiquant progressivement leur différence, quitte à tomber dans le terrorisme. La réconciliation est-elle envisageable ? Qu’en est-il de la vie, de l’acceptation, de l’amour, amour de soi et amour d’autrui ? Dans ces décombres, le personnage d’Ami rayonne. Terrassée par la maladie, la jeune fille conçoit la résurrection comme une opportunité de vivre qu’elle ne veut céder pour rien au monde. Vêtue de robes vintage, refusant de se maquiller, le verbe et la réplique facile, elle sait s’imposer à la limite de la provocation, quand Kieren, lui, intériorisé et timide, se veut obéissant et passif.

Lequel a raison, lequel a tort ? Mitchell ne donne pas de réponse et c’est toute l’intelligence de la chose. Ici, personne n’a la prévalence, encore moins la solution. Et d’épisode en épisode, on se prend au jeu de l’identification, à se demander ce qu’on ferait dans pareille situation. Le talent, la spontanéité, la fraîcheur des acteurs y est pour beaucoup, qui met en relief ces passions dévorantes, colère, attachement, chagrin, terreur… tous ces mécanismes, ces biais cognitifs qui impactent la raison de chacun, le vivre ensemble. Réaliste et lucide, on regrettera que In the flesh se contente de deux saisons qui en appelait une troisième.

Et plus si affinités

La série In the flesh est actuellement disponible sur la chaîne Youtube d’ARTE.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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