Underworld USA : le cantique des désillusions américaines selon James Ellroy

The ARTchemists Underworld USA

Difficile d’aborder les dessous du scandale Watergate sans faire écho à la trilogie Underworld USA. Il faut bien reconnaître qu’avec cette série de romans, James Ellroy a posé une pierre fondatrice en matière de thriller politique et d’analyse désabusée de la corruption made in America. Si l’on veut comprendre l’ampleur du fiasco Nixon, la logique qui en a été le déclencheur et la toile de fond, parcourir ces trois pavés est indispensable. Car les micros planqués, les enregistrements pirates, les chantages, les pressions, les menaces, les coups fourrés ne sont pas l’apanage de Dirty Dick, d’autres avant lui se sont distingués dans cet exercice périlleux. Hommes de l’ombre, barbouzes extrémistes, agents doubles, politiciens véreux : James Ellroy, avec sa plume corrosive de « Demon Dog » nous plonge avec autant de délice que de dégoût dans les spectres de cette Amérique souterraine.

Une tragédie politique en trois temps

Underwold USA est constituée de trois romans pensés comme trois actes d’une tragédie politique d’envergure.

American Tabloïd (1995) : Les fondations du chaos

Dans ce premier volet, Ellroy nous transporte de 1958 à 1963, période charnière où l’Amérique vacille entre espoir et désillusion. On y suit les trajectoires de Pete Bondurant, Kemper Boyd et Ward Littell, trois hommes aux allégeances floues, naviguant entre le FBI, la CIA, la mafia et les Kennedy. L’auteur expose les liens troubles entre le pouvoir politique et le crime organisé, suggérant que l’assassinat de JFK n’était pas un acte isolé, mais le résultat d’un enchevêtrement de trahisons et de manipulations.

American Death Trip (2001) : L’Amérique en déliquescence

Poursuivant American Tabloïd, ce second tome s’ouvre sur l’assassinat de JFK en 1963 et se clôt sur ceux de Martin Luther King Jr. et Robert F. Kennedy en 1968. Ellroy y adopte un style plus dépouillé encore, plus organique et primaire, reflétant la brutalité, la crudité de l’époque. La guerre du Vietnam, les tensions raciales, les manipulations politiques irriguent ce récit cauchemardesque, offrant une vision sombre et désabusée d’une nation en perte de repères.

Underworld USA (2009) : La descente aux enfers

Dernier opus de la trilogie, Underworld USA couvre les années 1968 à 1972, période marquée par la désillusion post-68. Ellroy y introduit de nouveaux personnages, tels que Don Crutchfield, un détective privé, et explore des thèmes comme l’infiltration du FBI dans les mouvements révolutionnaires, la corruption politique et les opérations secrètes à l’étranger. Ces pages sonnent comme une conclusion intense et violente de la trilogie.

Une fresque de la corruption systémique

À travers ces trois romans, Ellroy dresse le portrait implacable d’une Amérique gangrenée par la corruption, où les idéaux sont sacrifiés sur l’autel du pouvoir. Les méthodes des barbouzes Hunt et Liddy, l’aveuglement de Mitchell et sa clique, décrits dans Les Hommes du président, Gaslight et The White House Plumbers trouvent leurs racines dans les pratiques décrites par Ellroy : manipulations médiatiques, assassinats politiques, infiltrations, coups tordus en tout genre.

En revisitant les décennies précédant le Watergate, l’auteur du mythique polar Le Dahlia Noir offre une perspective unique sur les mécanismes qui ont conduit à l’un des plus grands scandales politiques américains. Il va plus loin ; balzacien dans l’âme, il décrypte une mentalité, la psychologie d’une époque, une idéologie mortifère qui dévore les âmes, gangrène les esprits, soumet les volontés, dissout l’esprit de justice et d’égalité. Sa trilogie n’est pas seulement une œuvre de fiction, elle déroule une analyse profonde des dérives du pouvoir et de la fragilité des institutions démocratiques.

En somme, la trilogie Underworld USA est une plongée vertigineuse dans les ténèbres de l’histoire américaine, une lecture indispensable pour quiconque souhaite comprendre les racines profondes du Watergate et les mécanismes de la corruption politique.

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Padme Purple

Posted by Padme Purple

Padmé Purple est LA rédactrice spécialisée musique et subcultures du webmagazine The ARTchemists. Punk revendiquée, elle s'occupe des playlists, du repérage des artistes, des festivals, des concerts. C'est aussi la première à monter au créneau quand il s'agit de gueuler !