The Ugly Stepsister : Cendrillon revu et corrigé en mode body horror

The ARTchemists The Ugly Stepsister

Il était une fois Cendrillon abordé sous l’angle … de la méchante sœur. Le film norvégien The Ugly Stepsister raconte comment Elvira va tout faire pour conquérir le prince charmant. Tout et pire encore. Exit la féerie des contes de Perrault ou des frères Grimm, côté tout mignon de la version Disney : la réalisatrice Emilie Kristine Blichfeldt avorte toute cette guimauve à grands coups de pieds pour tisser volontairement et sans scrupule l’esthétique corrompue d’un cauchemar esthétique où dialoguent body horror, rituels de transformation aussi cruels qu’inutiles et critique sociale acérée. Le tout est une fable vomitive et riche d’enseignements.

Une fille mal dans sa peau

Elvira est l’archétype de la fille mal dans sa peau — ronde, boutonneuse, dents de travers, anglaises ridicules, mal fagotée, maladroite, romantique au-delà du tolérable. Dans une société aux diktats victoriens, où les femmes n’ont de valeur que par le mariage, la donzelle dénote, ne correspond pas aux canons de beauté imposés par cette société ultra-rigide fondée sur le paraître. Il va donc falloir la faire entrer de force dans le moule pour espérer la marier richement, vu que sa mère n’a guère de fortune, malgré l’union qu’elle vient de célébrer avec le défunt papa de la belle Agnès (Thea Sofie Loch Næss).

La cible ? Rien de moins que le prince Julian (Isac Calmroth), héritier du trône en quête d’une épouse digne de régner à ses côtés et de produire des héritiers à la chaîne. Un prince pour lequel la candide Elvira en pince gravement, fascinée qu’elle est par les poèmes du jeune homme. Transie d’amour, la jeune fille va accepter d’être refaçonnée pour pouvoir rivaliser avec les plus belles filles de la contrée, y compris sa si belle, majestueuse et très libre de mœurs demi-sœur ravalée au rang de souillon et depuis surnommée Cendrillon. Être refaçonnée : euphémisme. Dents, nez, yeux, poids, Elvira va s’imposer un enfer corporel qui va tourner à la mutilation. Esprits sensibles, s’abstenir, les séquences sont épouvantables.

Le physique plutôt que le mental

Et tout ce qu’il y a de plus réaliste. Difficile, en observant cette gamine remarquablement interprétée par Lea Myren de ne pas penser à la pression sociale accrue par les réseaux sociaux qui conduit aujourd’hui des centaines de jeunes filles à s’imposer semblable supplice le sourire aux lèvres tuméfiées par le scalpel … et à en faire la promotion ouvertement sur TikTok ou Insta par dessus le marché. Obsédée par ce prince qui n’a finalement rien de charmant (le gars est grossier, une verge sur pattes que seule une fille forte est à même de gérer, certainement pas une ingénue comme l’héroïne), Elvira accepte tout, sans même réaliser qu’elle s’enlaidit au lieu de se magnifier.

Car elle peut se transformer au physique, ce qui lui manque c’est le mental. Et pour cause. Dans son monde, une femme est un bel objet et une reproductrice, guère plus. Exit la perspective d’une éducation intellectuelle, du développement de l’estime de soi. Elvira est dressée à plaire, une poupée sans volonté, une petite chienne de salon qui jappe pour amuser ces messieurs (véridique, le passage est juste intolérable). Elle est pourtant douée pour la poésie et la danse, mais ces talents, cette émotivité à fleur de peau liée à une compréhension si forte des mots, ce côté artiste, tous ces atouts qui pourraient faire la différence sont consciencieusement gommés.

Tragédie d’un avilissement consenti

Dès les premières images, on comprend qu’on va assister à une décomposition de l’être, une dévastation de la beauté intérieure, un avilissement consenti : fleurs fanées, fruits pourris, le plan de départ scrute une table de festin en putréfaction où se déroulent les anneaux d’un long vers solitaire. Cette évocation des natures mortes du XVIIe siècle frappe les esprits, comme un coup de semonce. C’est de pourrissement qu’on va ici traiter : l’altération des consciences, l’absence d’éthique, la dureté des mœurs, l’écrasement des êtres. Clairement Elvira, dans cet univers impitoyable, est vouée à la destruction à plus ou moins court terme.

Je passe sur les stades de cette dégradation qui illustrent les pires instants de l’anorexie. Le body horror flirte avec la reconstitution historique pour tisser une atmosphère oppressante et opaque, où ombres et lumières crues s’affrontent sur fond de château néo-gothique et de valses viennoises, autant de symboles de cette conscience torturée qui ne trouvera son salut que dans la fuite, et encore dans quel état. une fuite orchestrée par sa cadette Alma (Flo Fagerli), ulcérée du traitement qu’on inflige à son aînée. Peut-être le seul personnage sain de cette histoire, car trop atypique et trop rebelle pour être épousable. La petite dernière échappe ainsi au traitement infligé par une mère dont on se demande s’il faut la blâmer ou la plaindre.

S’exfiltrer du système

Pur produit de cette éducation qui contraint les filles, la marâtre (Ane Dahl Torp) n’a que cette solution en tête, solution qu’elle utilise elle-même, suçant tout ce qui lui passe à portée de bouche pour tenter d’assurer son avenir et sa sécurité financière. Toxique au dernier degré comme l’environnement qu’elle rêve d’intégrer, ce pouvoir, cette fortune qu’elle convoite sans jamais la saisir car trop dépendante des hommes pour gagner en liberté. Dans ce contexte, c’est presqu’une chance qu’Elvira réussisse à s’exfiltrer d’un système qu’elle ne pourra jamais réintégrer vu son état final, conjuguant à l’extrême et d’une nouvelle manière le proverbe : « Il faut souffrir pour être belle ».

On ressent un mélange d’agacement et d’empathie pour cette anti-héroïne, on aimerait la soustraire à cet enfer, la secouer, lui hurler de se ressaisir, de partir loin de tout ça avant que les dégâts soient irrémédiables. Plusieurs warnings devraient l’alerter, mais elle reste jusqu’à l’ultime limite. Flirtant avec le désastre. Acte manqué ? Là aussi euphémisme. Par contre, impossible de se soustraire à la colère qui nous saisit face à la trop belle et si sûre d’elle Agnès, féroce dans cette course au mariage, devant la morgue de ce prince qui considère les filles comme des jouets sexuels, tous deux reflètent la suffisance de ceux qui sont beaux et/ou riches, qui ont le pouvoir sur le visage, dans le porte-monnaie ou entre les cuisses.

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com