Théâtre / Chroniques d’une haine ordinaire : Pierre Desproges aux Célestins

Chroniques d’une haine ordinaire c’est tout d’abord une chronique quotidienne diffusée sur France Inter en 1986 par Pierre Desproges. C’est aussi l’adaptation des textes de l’humoriste noir et anticonformiste par le metteur en scène Michel Didym. Le grand dramaturge, homme, acteur et bouffon y est mimé par les deux comédiennes que sont Christine Murillo et Dominique Valadié. Le tout procure 1h30 de rire et de sourires pour notre plus grand bonheur.

Le décor est simple, le binôme des deux actrices nous ravit. La pièce commence en parlant de bonheur et d’amour puis le discours devient plus sombre. La langue est stupéfiante, on y trouve un héritage du classicisme français avec un constant jeu du langage. L’écriture de Desproges nous fait penser à un funambule, celle-ci ose, prend des risques mais sans jamais tomber. Soyons honnêtes les nuances ne sont pas forcément accessibles mais le bonheur est là. C’est peut être là la spécificité de cet auteur, dans la salle personne ne rit au même moment, ni pour les mêmes raisons, mais chacun y trouve son compte.

En ce sens, Michel Didym écrivit : « son écriture rend hommage à l’humanité en engageant sa splendeur et son horreur ». Parfois, on est ému par un éloge de l’amour, puis Christine Murillo se lance dans un réquisitoire contre le public et les traditions théâtrales. Toujours avec beaucoup d’humour et de finesse cette pièce est riche et complète. Evidemment si l’on retrouve le charme de la prose de Pierre Desproges, on en peut s’empêcher d’être déçu de ne pas entendre aussi sa voix, son intonation … Cependant l’interprétation est bonne, les actrices de qualité et leur complicité renforce cette bonne idée de dualité.

Alors que Nietzsche écrit que le rire a été inventé parce que l’homme souffre profondément, Pierre Desproges semble nous inviter à réfléchir à une question : « Peut-on rire de tout ? ». Que l’homme ait la capacité de rire est une évidence, il suffit d’observer le public le soir de la représentation pour en être assuré. Cependant peut-on s’autoriser n’importe quel rire du moment que la phrase est prononcée avec élégance ? C’est cela que Desproges veut susciter en nous, il nous prouve qu’on peut rire de beaucoup de choses, même du cancer. Surtout on ressort en pensant qu’on peut rire de tout et que cela constitue presque un devoir. Ainsi, le rire épingle les faiblesses de l’esprit telles l’absurdité ou les faiblesses du caractère : la vanité, l’orgueil … Pierre Desproges dénonce donc les contradictions de sa société en la rendant ridicule.

Ainsi cette pièce offre un bon moment de détente pour un soir de semaine, elle provoque le rire mais contient aussi des moments de réflexion en nous obligeant à nous poser les bonnes questions. L’adaptation est difficile et réussie, on oublie que la maladie et l’échec sont tragiques, on se demande qu’est-ce que le bonheur et on apprend à reconnaître l’hétérosexualité … Pierre Desproges est décédé le jour de la Saint Parfait « d’un cancer, étonnant non ? ». En tout cas au théâtre des Célestins Chronique d’une haine ordinaire le ressuscite presque.

Et plus si affinités

http://www.celestins-lyon.org/index.php/Menu-thematique/Saison-2012-2013/Spectacles/Chroniques-d-une-haine-ordinaire

Clotilde Izabelle

Posted by Clotilde Izabelle