The ABC Murders : Poirot sans filtre !

Voici donc un nouvel opus dans la saga des adaptations filmées de l’œuvre d’Agatha Christie. Trois ans après le magistral mais académique And Then there were none aka 10 Petits nègres pour les fans hexagonaux de la Reine du Crime, la scénariste Sarah Phelps s’attaque à ABC contre Hercule Poirot qu’elle retaille avec a propos et énergie pour en faire un véritable diamant noir.

Diffusé le 26 décembre 2018 par BBC One, le feuilleton composé de trois épisode et réalisé par un Alex Gabassi particulièrement inspiré tranche résolument avec l’ambiance habituelle des romans de Christie. Exit le pittoresque du old school, l’humour british, les petites cellules grises et la moustache en crocs : c’est un Poirot dévoré par ses démons que nous découvrons dans la solitude terrible de la vieillesse et de l’oubli. Hastings, le complice fidèle de ses enquêtes, a disparu du paysage, Japp a pris sa retraite … isolé, ignoré, Poirot dépérit dans un appartement ascétique où il alterne gestes du quotidien, teinture de barbe et prières.

Et puis arrivent des lettres tapées par un admirateur au style étrange, à la fois attentif et menaçant … et puis des meurtres, déroulés par ordre alphabétique de ville et de nom d’individus massacrés méthodiquement. Et Poirot de réveiller le limier qui sommeille en lui, pour traquer ce tueur qui le nargue et retrouver un semblant de vie, l’étincelle qui anime l’enquêteur, celui qui sait avoir raison. Cela ne va pas être simple : nous sommes en 1933 dans une Angleterre qui flirte avec le nationalisme et le racisme. Avec son accent belge (non pas français, voyons), le vieux détective gêne, insupporte …

Il lui faut de nouveau s’imposer face à la jeune garde de Scotland Yard, le rude et fonceur Crome, inspecteur aux méthodes grossières et qu’il faudra amadouer pour solutionner cette énigme. Quitte à se dévoiler ? Car qui est Poirot au fond ? Ce réfugié belge qui a fui la guerre de 14 et la destruction de son pays, soi disant ancien gendarme mais dont on ne trouve nulle part trace ? Lui qui obsède l’assassin, un assassin qui semble en savoir beaucoup sur lui … beaucoup trop. En recentrant le propos sur le célèbre détective, Sarah Phelps ouvre de nouveaux horizons dans la perception de ce personnage mythique, trop souvent caricaturé. Kenneth Branagh s’y était essayé via son remake du fameux Crime de l’Orient Express avec peu de succès avouons-le ; ici par contre, la stratégie porte avec une intensité incroyable et pour cause : c’est un John Malkovich proprement ahurissant qui incarne le héros.

On le savait caméléon ; le comédien le confirme avec une élégance et une puissance incroyable en révisant complètement la configuration de cette figure emblématique sans la trahir. On oublie la bonhommie de Peter Ustinov, la malice d’Albert Finney, la préciosité de David Suchet : le Poirot de Malkovich est d’une autre étoffe, introverti, habité, presque mystique et profondément convaincu d’être maudit et prédestiné à sa mission. Crane rasé, bouc blanc, voix très lente, regard acéré, presque fiévreux, Malkovich réalise ici un véritable tour de force d’acteur, soutenu par l’interprétation de ses partenaires, Rupert Grint en tête, absolument méconnaissable dans le rôle de Crome. Le tout se déroule dans une atmosphère sombre, délétère, de souffrance, de hargne, de frustration et de perversité.

The ABC Murders sent la suie, le charbon, la poussière, le rance, le sang et les matières fécales … la lumière n’y est jamais éclatante, les paysages n’y sont pas sereins … l’ensemble rappelle l’atmosphère du remarquable Rillington Place et confirme le talent particulièrement affirmé des britanniques pour créer des séries cohérentes, rythmées et prenantes qui possèdent leur caractère propre et croisent les genres avec une aisance et une subtilité déroutantes. La preuve que ce genre peut allier culture populaire et expression artistique pour le meilleur et le meilleur.

Et plus si affinités

https://www.bbc.co.uk/programmes/b0bxbvtl

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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