Studio Beineix : l’art de la discipline, la discipline de l’art … une leçon de cinéma.

Article initialement publié le 2 avril 2013 à 11h 38 min

Diva, La Lune dans le caniveau, 37,2 le matin, Roselyne et les lions, IP5, Mortel transfert, Jean-Jacques Beineix a peu tourné mais chacun de ses films est demeuré dans les mémoires comme marqué au fer rouge. C’est que le monsieur sait y faire pour secouer les consciences, associant histoires hors normes et mises en scène frappantes. Installée du 4 avril au 29 septembre 2013 au coeur du Musée des années 30 de Boulogne-Billancourt, l’exposition Studio Beineix nous plonge dans l’atmosphère si particulière de ces longs métrages. 7 décors de films emblématiques, 1 cabinet de curiosités retraçant la vie du réalisateur et ses hobbies, 1 galerie de peinture dévoilant ses tableaux, 1 salle dédiée à un projet de film, 1 salon de musique, 1 pièce relatant la vie des studios de Boulogne-Billancourt… et Jean-Jacques Beineix lui-même qui nous fait visiter le parcours, avec force explications et commentaires que nous avons pu précieusement enregistrer et qui illustrent notre compte rendu.

Un appartement comme une âme d’artiste

Les 12 pièces qui composent cet appartement un peu particulier reflètent une âme d’artiste, de touche à tout : ancien étudiant, cinéaste, peintre, musicien, alpiniste, coureur automobile, motard, navigateur, nous comprenons vite que rien n’est cloisonné chez ce phénomène, tout se complète, se recoupe, se questionne, se répond. Dans le calme, la détermination, sans jamais de cacophonie, avec logique. Une logique mise orchestrée par Juliette Singer, scénographiée par Cédric Guerlus, où affiches, photos, extraits de films permettre de mieux comprendre l’importance de l’espace et de l’objet dans le monde de Beineix.

L’espace et l’objet : des personnages à part entière qui englobent, protègent, accueillent ou rejettent les héros, comme des matrices, des berceaux ou des tombes. Nous visitons ces quelques 900 mètres carrés accompagnés d’un Jean-Jacques Beineix humble, visiblement secoué de découvrir là tout son travail, toutes ces années de lutte, d’abord très retenu dans ses explications, concentré, il va doucement s’ouvrir, se confier, parler, expliquer, rire, gronder aussi. Jamais provocateur, toujours fonceur. Il va raconter comment il a mis en avant Béatrice Dalle dans 37,2 le matin, comment il va brûler son décor de chalet sur pilotis, comment il va travailler avec Robert Hirsh dans Mortel transfert, Yves Montand dans IP5, …

Piratage des données et bleu Diva

Il nous présente le loft de Diva, son premier grand succès datant de 1980. Il y raconte comment Jules, un jeune postier passionné d’opéra, enregistre secrètement le concert d’une cantatrice qui refuse de faire des disques ; accidentellement, cet enregistrement convoité par les maisons de disques, sera confondu avec le témoignage sur cassette d’une prostituée dénonçant un réseau. Les deux intrigues mêlées par le romancier Delacorta vont engendrer un chef-d’œuvre cinématographique sans précédent. Passant de la réflexion sur le piratage des données à la naissante du bleu Diva, Beineix nous explique le pourquoi du comment, le choix de chaque objet, le travail des lumières, des formes :

Une esthétique aboutie

Dans les salles suivantes et sur le même ton calme, avec une pointe d’humour mêlé de fatalisme, Beineix évoque sans faillir l’expérience difficile de La Lune dans le caniveau et cet échec commercial se révèle soudain comme un travail d’une esthétique aboutie, tout en lignes, en courbes, où l’on retrouve l’œil du plasticien jusque dans le rapport des couleurs. Il explique la sortie tumultueuse Mortel transfert, comédie burlesque sur la psychanalyse qui a suscité une levée de boucliers de toute la corporation. Il n’y a pas à dire, Beineix ne sait pas laisser indifférent. Parce qu’il ne sait pas rester inactif.

Piano anamorphosé et comédie vampirique

Deux salles retiennent mon attention par leur caractère surprenant et vivant, en attente :

  • le Salon de musique qui expose le Piano anamorphosé créé en 2013, prolongement du tableau La Fin du Monde daté de 2001, inspiré aux mêmes sources que le service à vaisselle dessiné pour le 49eme festival de Cannes. Ce piano absolument incroyable est lui-même prolongé par un miroir en hommage au final de La Dame de Shangaï d’Orson Welles et qui accueillir les versions de 840 artistes et étudiants des Vexations d’Erik Satie, versions qui seront filmées par de petites caméras et que Beineix, lui-même pianiste depuis l’âge de ses 50 ans, considère comme ses Beixations (je vous avais dit que le monsieur a de l’humour et le sens de l’autodérision).
  • la salle dédiée au projet L’Affaire du siècle, vieux de 30 ans, une comédie vampirique que Beineix a bien failli tourner aux USA, jusqu’à ce que les studios le lâchent, effarouchés par l’ampleur de la chose et le manque de contrôle, car on ne contrôle pas ce genre de génie, et ça l’industrie cinématographique déteste. Du coup dessins, décors et tout le tralala sont restés en plan, de même notre envie de voir le réalisateur à l’œuvre dans ce registre où il devrait exceller. Demeurent une bande dessinée, des croquis où l’esprit de Tim Burton jouxte avec celui du 5eme élément, et l’espoir que Luc Besson reprenne le chantier et accepte de produire ce chef-d’œuvre en devenir qui devrait balayer la purge Twilight d’une pichenette.

La mort d’une certaine vision du cinéma

Nous quittons les lieux, laissant sur site un Beineix bien décidé à continuer son travail, se tournant vers le portrait, s’investissant dans la photographie et le documentaire, mais prêt à en découdre de nouveau. Dans son viseur, un système de production obsédé par le fric à outrance, qui privilégie la rentabilité à tout crin, le succès kleenex aux dépens de la qualité, de la réflexion et de l’art. Selon lui, cette logique de la rentabilité maximum a conduit à la liquidation des fleurons du cinéma, ainsi les grands studios tels ceux de Cinecitta. Beineix déplore la mort de tout un pan de culture et une certaine vision du cinéma (des années plus tard, Jeunet nous tiendra le même discours désabusé). Et le réalisateur d’insister sur le rôle sociétal de l’artiste dans une société contemporaine en proie au délabrement et à la décomposition des valeurs. Quoi de plus normal pour ce créatif qui considère l’art comme une discipline intransigeante ?

Et plus si affinités

Pour en savoir plus, visitez notre album photos de l’exposition Studio Beineix.

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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