The Idol : Qui dit idole dit sacrifices ?

«Le pire TV Show de l’année» ? Tandis que les médias anglo-saxons se déchaînent, dézinguant The Idol à qui mieux mieux, je viens de boucler les cinq épisodes des aventures du petit chaperon rouge Jocelyn et du loup Tedros. Et je n’en ressors pas aussi catégoriquement outrée et déçue que mes confrères. Au contraire.

Chanter autre chose, autrement

On va être clair, ce n’est pas un chef-d’œuvre, loin de là ; Scorcese, Nolan et consort, du haut de leur panthéon cinématographique, n’ont donc pas trop de soucis à se faire, The Idol ne va pas révolutionner nos télés. Mais faut-il pour autant jeter ce bébé avec l’eau d’un bain certes sale et trouble, mais c’est justement ça qui fait tout le prix de cette histoire de manipulation ? Car manipulation il y a dans la vie de Jocelyn, et pas qu’un peu. Jocelyn donc : bébé star poussée sur le devant de la scène par une mère bien décidée à exploiter le filon de cette voix d’or quitte à la prostituer médiatiquement (pas une nouveauté, Judy Garland a subi le même sort). Petite fille grandie trop vite, ravagée par le chagrin et le deuil, Maman étant décédée d’un cancer sous les yeux de cette enfant/femme qui l’a accompagnée pas à pas durant ce long martyre.

La gamine en est ressortie essorée, laminée, vidée. Dépression tolérée de longs mois durant par maison de disque et producteur, histoire de laisser la pouliche aux œufs d’or récupérer pour repartir de plus belle sur un nouvel album, une nouvelle tournée de concerts. Seulement voilà : Jocelyn peine, elle a vraiment du mal à remettre le pied à l’étrier. C’est qu’elle ne se reconnaît plus dans ce canasson magnifique qui lui sert de carrière, magnifique certes mais totalement inadéquat car ultra-formaté. Or, Jocelyn veut changer, chanter autre chose, autrement. Ce que ses mentors ne voient pas d’un très bon œil. Paumée, la belle idole se jette dans les bras de Tedros un soir de virée alcoolisée. Tedros, petit, pas forcément beau, queue de rat, un passé ténébreux et une large tendance à jouer les gourous.

Une métamorphose sous haute tension

La problématique est posée : sentimentalement piégée par ce séducteur/corrupteur, Jocelyn va tomber sous emprise. C’est une évidence… à moins que ? C’est ce « à moins que » qu’explore Sam Levinson à qui l’on doit par ailleurs Malcolm & Marie, Euphoria ou Irma Vep. Avec à ses côtés comme co-auteur un certain Abel « The Weeknd » Tesfaye, qui joue également Tedros ainsi que Lily-Rose Depp dans le rôle de Jocelyn. Et autour toute une kyrielle de musiciens, chanteurs et autres artistes comme Troye Sivan, Moses Sumney, Jennie sans compter Eli Roth, Hank Azaria ou Da’Vine Joy Randolph ou le producteur Mike Dean … Un casting fait pour attirer les fans et porter une B.O. composée par The Weeknd en personne. Avec tout ce très talentueux petit monde, nous allons plonger dans une métamorphose artistique sous haute tension.

Car Tedros a tout du Charles Manson, c’est du moins ce qu’on nous fait miroiter à grand renfort d’allusions essaimées d’épisode en épisode. Charmeur, perspicace, menaçant, brutal… il n’en demeure pas moins qu’il accouche la nouvelle Jocelyn. Au forceps, dans les larmes, la jouissance et la douleur, avec des méthodes plus que contestables, il fait émerger cette Vénus néanmoins, sous le regard désapprobateur mais complice de managers qui marchent sur des œufs, tentant de préserver leur star sans intervenir directement… alors qu’ils la sentent clairement en danger. C’est cet entre-deux qui met très mal à l’aise. Tandis que les directeurs du label sont prêts à rayer Jocelyn de la carte, ses agents observent de loin et comme ils peuvent une transformation qui semble bien périlleuse, car elle pousse la belle au-delà de ses limites, via la came, le cul, l’excès.

Intrigue sulfureuse et cynisme mordant

Ce qui fait de Jocelyn une victime… « à moins que »… la duplicité est partout à l’œuvre dans cet univers que Levinson filme à la fois comme un polar moite et un porno chic. Le parfum qui s’en dégage évoque les sulfureuses intrigues tissées par Bret Easton Ellis, cette quête folle du déséquilibre jusqu’à la destruction complète… ou la résurrection ? Et un cynisme mordant dans l’observation d’une caste musicale sans pitié, prête à tout pour faire du fric. Façonner les artistes sans trop leur demander leur avis, les sexualiser au maximum (hommes et femmes, pour le coup tout le monde est logé à la même enseigne), leur imposer un style musical, vestimentaire, les éradiquer de la chaîne créative qui se transforme ainsi en automatisation du process, les couver comme des enfants ou des handicapés, exploiter leurs failles psychiques, leurs troubles mentaux sans vergogne et anéantir leur carrière en un clin d’œil quand ils les jugent trop instables, trop coûteux ou has been.

En visionnant ces épisodes, comment ne pas penser à Britney Spears? Sauf que Jocelyn n’est peut-être pas aussi paumée qu’elle semble le paraître. Le paraître, faire semblant, s’émanciper en secret et par les moyens les tordus, les plus vicelards… « Vengeance d’une blonde » ? En tout cas dans cette histoire, le gourou n’est pas forcément là où on le pense. Qui dit idole dit sacrifices. C’est assez bien observé et restitué du reste. Même si la série, pour devenir charismatique, aurait mérité :

  • Bret Easton Ellis justement au scénar, Gaspar Noé à la réal pour une dinguerie parfaitement assumée et poussée à son climax (sans jeu de mots) ;
  • un format « film » ramassé et plus synthétique, donc plus coup de poing ;
  • un peu moins de remous dans sa réalisation (outre un casting plusieurs fois remodelé, Amy Seimetz a été débarquée de la réal alors que la presque totalité de la série était tournée, laissant les rênes à Levinson qui a tout repris, avec au finish des scènes virées dont on aurait bien aimé découvrir la teneur, cinq épisodes au lieu de six et pas de saisons 2).

Bref, un bordel bien anxiogène… à l’image de la gestation du nouvel album de Jocelyn. Au passage, on soulignera l’interprétation tout à fait honorable de Lily-Rose Depp qui marche ainsi dans les pas de sa mère Vanessa Paradis dont la prestation dans Noces blanches avait aussi secoué une opinion scandalisée. Bon sang ne saurait mentir ? En tout cas, The Idol est loin d’être le ratage conspué dans les médias. La série aura en tout cas le mérite de dévoiler la profonde dureté de l’industrie du spectacle, où on achève aussi bien les chevaux que les artistes.

Et plus si affinités

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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