Avec cette chronique littéraire nous attaquons fort 2014. En mode lutteuses du quotidien/guerrières de la vie/destins de femmes brisées. Le ministère de la culture a souligné l’année dernière qu’on ne parle pas assez des femmes créatrices dans les média, qu’elles ne sont pas assez représentées dans l’univers des arts, pas assez mises en avant ? Au travers de ce roman, Kerry Hudson nous rappelle que cette place, il convient de la conquérir avec hargne, détermination. Et brutalité au besoin.
Hargne – détermination – brutalité : les femmes Ryan n’en manquent pas en bonnes poissardes écossaises qu’elles sont. Et elles en ont grandement besoin, vu l’univers où elles évoluent. L’Ecosse des 80’s, rongée de chômage, de délinquance, d’alcool, de drogue, pays laissé pour compte, abandonné, un champ de ruines. L’Ecosse de Trainspotting. The Snapper de Roddy Doyle, l’humour en moins et l’humanité en moins. Janie nait dans ce monde ravagé, et va y apprendre à se battre, en observant sa mère, la frêle, indépendante et caractérielle Iris.
Nous la suivons depuis ses premiers hurlements de nourrisson jusqu’au moment où elle part à Londres construire sa vie de femme, hors de cette zone sinistrée. Elle nous raconte un quotidien fait de HLM pourris, de violences domestiques, d’allocations et d’aides, de services sociaux, de cuites et de malbouffe, de dépression, d’insultes, où l’amour et la tendresse font cruellement défaut. Hors celui de sa mère, « maman », mère louve, femme perdue dans ses rêves et ses contradictions, pute d’abord, camée, puis en quête d’un époux, d’une stabilité, d’une survie.
Et Janie qui observe tout ça, d’un œil méfiant d’abord, puis critique, relatant chaque épisode de cette enfance difficile, de cette adolescence précaire avec un vocabulaire, des tournures de plus en plus pointus, mordante, amère et désabusée au fur et à mesure qu’elle grandit et qu’elle découvre la vie et les autres. Implacable, dure, apprenant de ses propres expériences souvent malheureuses, traumatisantes, tragiques. En quête d’indépendance et de liberté. Trouvant refuge en bibliothèque, dans la lecture, dans ces livres qu’elle dévore avec passion, moments infimes de plaisir et de paix.
Un roman d’initiation au féminin. Absorbant, qui se lit d’une traite, dont on aime les personnages, dont on goûte le style, entre langage cru et moments d’introspection, vérité des sentiments, pudeur des affects (soulignons le travail de traduction adaptation de Florence Lévy-Paoloni qui a su restituer toutes les particularités de cette écriture teintée d’écossais). Et qui sent son vécu, puisque Kerry Hudson a elle-même connu cette course d’obstacle avant de devenir auteur. Et qui sent sa victoire sur la fatalité, l’annulation complète d’une logique naturaliste à la Zola, le refus d’un déterminisme social qui condamne. Car le livre, preuve de cette réussite autant que son récit, se termine sur ces mots : LE COMMENCEMENT.
Et plus si affinités