Récital de François Chaignaud : tableaux dansés d’une exposition

Récital de François Chaignaud à la fondation Louis Vuitton © Fondation Louis Vuitton/Martiq, 2017

Le mois dernier, nous avons eu le plaisir d’assister au Récital de François Chaignaud programmé à la Fondation Louis Vuitton par Ariane Bavelier et Philippe Noisette dans le cadre de l’exposition Icônes de l’art moderne/La collection Chtchoukine. En une demi-heure environ, le chorégraphe, accompagné par l’excellent pianiste Adriano Spampanato, a enchaîné une dizaine de “courtes pièces, qui se déploient dans l’intimité troublante” d’un intérieur de rêve de la Belle époque, un “salon rose” meublé avec goût et orné des plus belles toiles d’Henri Matisse (l’éblouissante Desserte, Les Poissons rouges, Nature morte-camaïeu en bleu, Nature morte au châle de Séville, Le Bouquet, L’Atelier du peintre, Les Capucines à la Danse II…). Danse, musique et peinture ont toujours fait bon ménage : le musicologue Diaghilev fut commissaire d’expositions – l’un des thèmes de Moussorgski donnés en fin de gala, Bydlo, fait partie de ses “Tableaux d’une exposition”.

Récitation de danse

Camouflé d’un négligé démarqué de Matisse designé par Romain Brau, savamment déchiré, dévoilant le poitrail du danseur, perché sur de hauts sabots de percheron ou de faune fauve, Chaignaud a interprété sur un registre profondément grave qu’on ne lui connaissait pas, le sonnet de Baudelaire “Recueillement” mis en musique par Debussy. Reprenant sa voix de tête (sur des fréquences excitant la perruche encagée empruntée au Jardin acclimatation voisin rappelant la Composition aux deux perroquets de Fernand Léger), il a célébré Isadora sur un texte d’Anne-James Chaton et un air de Nosfell, puis, le corps à peine voilé par des carrés de mousseline, sur les préludes et valses romantiques de Chopin et de Brahms et les variations libres transmises par Elisabeth Schwartz. Le port de bras raidillon de la danse académique a laissé place à des mouvements fluides impulsés par tout le torse. Des tours, en quantité, effectués à une vitesse vertigineuse ont actualisé l’esthétique isadorienne que le critique André Levinson sous-estimait, n’y voyant que “l’idolâtrie du corps, le culte de l’émotion spontanée et du réflexe fortuit”. L’effeuillage s’est poursuivi : le jeune homme, en tanga ou nu académique a salué Malkovsky via deux recréations sobres et martiales de Suzanne Bodak, sur du Moussorgski et du Dvorak – “il a bien dansé la bataille”, disait Lifar.

Performance

A pris fin la sérénade et débuté la performance. Pas au sens artyseventies du terme, en son acception physique, s’agissant d’une création inspirée du Sacre de Nijinski revu par Dominique Brun, un morceau de bravoure sur pointes pas piqué des hannetons, destiné à l’élévation. La boucle, ainsi, était bouclée, qui a substitué les chaussons du ballet blanc réformé par Nijinski et Diaghilev avec, il est vrai, Debussy, Ravel, Satie, Stravinski et Bakst, Benois, Gontcharova, les Delaunay, Picasso, Matisse, aux plateformes kinky du tour de chant inaugural. L’interprète, à la fois distant (concentré dans son affaire) et proche (humain, trop humain), compte tenu de l’amplitude musculaire déployée dans des mouvements généralement exécutés de façon éthérée, sautillante et floue. Chaignaud, en son manège anti-horaire, manque écraser les binocles imprudemment posées sur le parquet, devant lui, par notre voisin Prosper, assis en tailleur au premier rang au bord de la rouquine et ellipsoïde moquette faisant office de piste de danse. Périlleux spectacle que ce gala de danse pure et, en un sens, impure.

Et plus si affinités

http://www.fondationlouisvuitton.fr/evenements–radio/creation-carte-blanche-a-francois-chaignaud.html

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Nicolas Villodre

Posted by Nicolas Villodre