Mytho (Olympus Circus) : le carnaval pop et anachronique de Lionel Hoche

Dans le cadre du festival Trajectoires 2024 organisé par le centre chorégraphique nationale de Nantes, Lionel Hoche dévoile sa nouvelle création. Mytho (Olympus Circus) plongera petits et grands dans le monde déjanté d’une mythologie passée et celle plus pop d’aujourd’hui. Plus de détails sur ce projet par le chorégraphe himself.

Pirater la mythologie grecque

On vous avait quitté avecDimanche éperdument,issu de votre triptyque autobiographique. Vous nous revenez avec MYTHO (Olympus Circus). Une création qui entend «pirater la mythologie grecque sur le mode explosif (et pop) du grand Olympus Circus». Pourquoi un tel sujet : la mythologie grecque ?

Un préambule est nécessaire, car il y a un parallèle entre ces deux pièces : Dimanche Éperdument, qui avait été initié avant la crise sanitaire comme une pièce dystopique, pour évoquer un monde au bord de sa fin rattrapé par la réalité, est devenu une pièce sur le monde d’après, monde espéré (qui n’est pas encore advenu)… C’est un endroit qui voulait percuter la lueur d’une sortie de tunnel (à partir du noir), pour retrouver la lumière et l’espace et invoquer la Joie !

Mytho, parti d’un court moment serein, ou expressément engagé dans une quête de sérénité, c’est un peu le même topo. Depuis, on voit la terre s’effriter sous nos pieds, le monde se catapulter dans une fuite en avant guerrière, une spirale toujours plus nourrie de violence… Comment encore parler d’autre chose, d’espoir, comment activer (encore) une autre force, notre amour, et comment ne pas se prendre les pieds dans le tapis en œuvrant politiquement (loin de ses croyances, préceptes, voire simplement de ses capacités artistiques…) ?

Pour revenir à la question sur Mytho et le sujet de la mythologie grecque : c’est un sujet vaste et présent chez tout un chacun, un sujet universel et familier à la fois, fascinant et toujours fertile. Il transcende autant les époques que les générations. Il est venu faire un tour plus ou moins érudit dans l’enfance et l’imaginaire de chacun. Il a généralement fait son trou et creusé un sillon inépuisable dans notre espace intime. Il est source commune. Il ouvre des mondes singuliers et exotiques tout en nous confrontant à nous-mêmes…. De plus (et très heureusement), il est en quelque sorte magique et demeure humain : sacrée alchimie !

Quel serait votre héros/héroïne, votre mythe préféré ?

Impossible de choisir : ce que j’aime c’est leur multitude, leur nombre, la ramification infinie, l’arborescence vertigineuse de cette multiplicité… Ils sont uniques et ils sont « foule ».

La tribu Hoche

Mytho s’annonce comme un (presque) projet jeune public. Ce n’est pas le premier de vos projets dédiés à ce public spécifique.L’histoire du Soldata connu un joli succès. Qu’est-ce qui vous meut tant dans le jeune public ?

Une forme de liberté de ton ouverte, la place du jeu, du ludique… Un vent de légèreté possible… C’est une mission réjouissante que d’accompagner un futur public, mais plus simplement de participer aux expériences tant éducatives que sensorielles, esthétiques, de ces jeunes… Je pense que si ces projets sont « instructifs » ils affirment aussi pour moi une ténacité à ne pas perdre le contact avec cet espace et cette liberté folle que peut générer notre imaginaire. C’est une force certaine, absolue, qu’il faut entretenir, nourrir encore et garder vivante, partager. Les adultes doivent garder un œil sur cette partie d’eux-mêmes et veiller à ce qu’elle ne s’éteigne pas… Finalement de nous vers eux et inversement converser.

Carlotta Sagna, Simon Frezel, Vincent Delétang, Emilio Urbina … au fil de vos créations nous retrouvons la même équipe. Peut-on parler de la constitution au fil des ans d’une tribu Hoche ?

C’est une tribu ouverte et accueillante, plurielle et changeante. S’il y a un noyau, il y a aussi du sang neuf. Avec le temps on apprécie la fidélité, mais on a toujours besoin de renouveau. Je prends plaisir à travailler avec un panel générationnel étendu : de la vingtaine à la soixantaine… Quel délice ! J’apprécie que s’approfondissent les relations dans la compagnie autant qu’elles puissent être stimulées par de nouvelles dynamiques et personnalités. C’est enthousiasmant et vivant.

Carlotta est rejointe cette fois-ci par deux autres illustres chorégraphes : Elisabeth Schwartz et Germana Civera. Quels rôles ont ces femmes dans Mytho?

Elles sont porteuses de temps, de leur histoire (dans la danse aussi). Elles font figure (déjà) de quelque chose d’ancestral, en tout cas de fondamental. Elles ont chacune choisi un axe de présence mythologique en lien avec leurs préoccupations. Germana incarne une sorte de titan – Gaia pour ne pas la nommer – à la dimension originelle et écologique ; Elisabeth, sur les traces de Duncan réactive les figures « chorégraphiques » mythologiques qui ont nourri ces pionnières de la danse, ici avec les furies et autres bacchantes. Quant à Carlotta, elle vient avec humour jouer les Cassandre et perturber le déroulement du spectacle. Tout cela sous la forme d’apparitions dans la vidéo/scénographie. Elles sont divines et absolument humaines.

Scénographie et playlist

La scénographie emprunte à la vidéo, au détournement de tableaux de maîtres… comment l’avez-vous imaginée ? Vous parlez de rhapsodie…

La rhapsodie comme forme poétique épique, le rhapsode est un poète Grec allant chantant et récitant des poèmes épiques. De plus, cela donne un axe de recherche musicale, un thème commun, mais aussi une forme qui lie ou inclue des folklores. La mythologie ayant toujours été source d’inspiration au cours du temps, la peinture (et la sculpture tout autant que le cinéma ou la littérature) de toute époque y font référence, y trouve matière. Je pensais mettre hors du temps cette mythologie source en brouillant à l’intérieur même des toiles, les époques, les esthétiques et les situations pour créer des frottements, des ricochets, des (dis)torsions : réinventer à partir de là, créer notre lecture de la mythologie (celle de notre tribu sur scène).

Vous êtes également aux costumes. Là encore, c’est une constante. D’où vous vient ce goût pour la création de costumes ?

C’est une histoire d’enfance. Ma mère cousait beaucoup quand j’étais enfant. J’ai appris par hasard en l’observant et, petit à petit, c’est devenu un savoir, mais aussi une échappée à portée de main. C’est un artisanat pratique capable de délires, permettant la métamorphose.

Quid de la diversité et singularité de la bande sonore : Bartok, Jean-Michel Jarre, Rachmaninov … Comment s’articule (ou pas) cette playlist ?

Très simplement autour de la rhapsodie pour les Bartok, Ravel, Debussy et Rachmaninov… Ensuite Jarre nous ramène à une sorte de « cosmique ancestral », une nuit des temps que le New Age titillait, plus pertinent à l’écoute maintenant qu’à l’époque : cela vient encadrer l’ensemble de la composition. Pour provoquer des glissements, j’introduis deux ruptures plus pops ou rocks avec pour sujet des figures ou événements mythologiques. Le tout s’articule lestement et nous accompagne dans le voyage proposé, épopée mouvementée et onirique. Il s’agit d’une composition en chapitres ou épisodes, s’articulant et nous faisant basculer d‘un univers à l’autre. Une sorte d’Odyssée.

In fine, Mytho, tout pop et baroque s’annonce-t-il, entend décrire l’infini chaos du monde et de l’être. 2023 se termine avec son cortège d’horreurs… Êtes-vous optimiste pour la suite ? L’art nous sauvera-t-il ? Ou alors les héros mythologiques ?

J’étais loin d’imaginer un tel fracas global quand j’ai commencé à penser à Mytho. Je ne suis pas sûr d’avoir les outils pour réparer l’humanité, mais panser quelques plaies existentielles, ça je pense pouvoir y participer : je ne veux pas être l’écho d’un monde mourant, mais œuvrer à un émerveillement qui nous éclaire un instant. Donc il faut danser et rêver tant que possible en conservant notre humour. Avec Mytho, je pense en premier lieu au bazar humaniste de nos activités et passions, nos vies. Pour contrer cette actualité toujours plus violente, j’ai besoin d’ouvrir d’autres espaces, fous, pour me (nous) maintenir debout et jouant, des endroits peu crédibles, mais salutaires, thérapeutiques peut-être… Prenons soin de notre moral, alimentons notre destin de chimères et d’espoirs.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus sur le travail de Lionel hoche et cette nouvelle création, n’hésitez pas à consulter le site du chorégraphe.

Dieter Loquen

Posted by Dieter Loquen

Natif de Zurich, Dieter Loquen a pris racine à Paris il y a maintenant 20 ans. On le rencontre à proximité des théâtres et des musées. De la capitale, mais pas seulement. Il aime particulièrement l'émergence artistique. Et n'a rien contre les projets à haut potentiel queerness.