Musée Guggenheim de Bilbao : Paris, fin de siècle … Signac, Redon, Toulouse-Lautrec et les autres …

Pour fêter ses vingt ans, le Musée Guggenheim de Bilbao s’est penché un peu plus de cent ans en arrière afin de montrer, à travers la production de quelques peintres vivant à Paris au tournant des XIXe et XXe siècles, la naissance de l’art moderne. Cette exposition, intitulée Paris, fin de siècle, sort de l’ordinaire non seulement par la beauté des œuvres présentées, mais aussi par le fait de leur provenance, de collections particulières et non d’institutions muséales et le corpus retenu, tant des courants et mouvements que des artistes eux-mêmes.

Le sous-titre de la monstration, Signac, Redon, Toulouse-Lautrec et leurs contemporains, met certes en avant des peintres depuis lurette reconnus, y compris du public le moins averti, mais c’est en arpentant les trois grandes salles consacrées à ce remarquable accrochage ou en parcourant le beau catalogue publié par l’établissement basque que l’on peut découvrir la diversité des approches picturales et graphiques, la variété stylistique, l’hétérogénéité des univers de chaque personnalité et le rapport de chacun à l’impressionnisme.

Monet puis les Nabis

Il faut dire que c’est par Monet que s’ouvre l’exhibition avec un de ses plus glauques (au sens propre) Nymphéas datant de 1914. Nous aurons bien sûr été plus sensible à certains tableaux qu’à d’autres, à des approches et des traitements spécifiques, à quelques trouvailles visuelles qui débordent les exercices de style de pointillistes appliqués, pour ne pas dire laborieux. On a cette sensation que tout se passe en effet comme si le concept de série naissait à ce moment-là, du fait sans doute de celui de “mouvement” ou d’isme. Les paysages champêtres ou marins sont déclinés à volonté. Les jeux optiques, les contrastes chromatiques, l’évaporation du motif, itou. Signac à Saint-Briac signe de magnifiques toiles qui n’ont pas pris une ride. La manifestation a le mérite de prouver que sa manière se fixe vers 1890. Les formats horizontaux sont des plus spectaculaires. La fraîcheur des teintes a résisté à l’usure du temps.

Le groupe des Nabis est bel et bien représenté par Maurice Denis dont on découvre le répertoire varié qui va de la composition japonisante (on pense notamment à Avril, Les Anémones, 1891) à l’iconographie religieuse (cf. sa vision moderniste des Pèlerins d’Emmaüs, 1895), en passant par l’étude de mouvement (cf. la danse serpentine fullerienne intitulée Douce vision, 1896) et la structure géométrique élémentaire (cf.l’oblique paisible en apparence mais avec une touche d’étrangeté des Anémones). Peut donc déjà poindre chez lui un aspect noir qui se trouve développé, approfondi, systématisé par Odilon Redon. Manquant, cela nous paraît manifeste, de technique, au sens académique du terme, il compense cette absence par une atmosphère sombre, onirique et même cauchemardesque qui a su séduire les Surréalistes vingt ans plus tard. Ses lithos en noir et blanc demeurent indéchiffrables.

Pissarro et autres secrets

Dès les années 80, Pissarro s’impose comme pionnier dans l’analyse de la lumière et la justesse de ses angles d’attaque de la nature, des hommes et autres animaux (cf. son allégorique Troupeau de moutons, Éragny-sur-Epte, 1888). Les xylographies de Félix Vallotton exploitent les forts contrastes en noir et blanc. Les thèmes sont moraux, sociaux, didactiques. Le trait ou traitement est gros, use volontiers de l’aplat, vise à la reproduction de type journalistique (le dessin remplaçant avantageusement, nous semble-t-il, la photographie qui a pu l’inspirer), exploite le filon sensationnaliste du fait divers. Nous ne sommes pas loin, ici, du feuilleton cinématographique à la Feuillade. Vallotton aura influencé, directement ou pas, tout un pan de graveurs expressionnistes. Sans parler des auteurs de bande dessinée comme Tardi. Bonnard était représenté par des petits formats, essentiellement des scènes de la rue parisienne, pittoresques, sans aucun doute, mais sans aucun aspect critique ou satirique. L’une des plus puissantes est Personnages dans la rue (c. 1894). Idem pour Kees van Dongen, représenté par de petits formats en noir et blanc valorisant la Parisienne.

Nous avons découvert peintres et œuvres longtemps celés dans des collections privées, ce qui suppose un travail considérable de prospection et une grande force de conviction de la part des organisateurs. La Maternité (c. 1899) de Charles Angrand concurrence les effets des tenants du photopictorialisme à la même (Belle) époque – on pense aux travaux de Puyo et de Demachy. C’est par le rayonnement lumineux qui se dégage du visage et du décolleté du personnage féminin au centre de l’image, plus que par le dessin lui-même qu’est l’attrayante toile de Louis Anquetin, L’Intérieur de Chez Bruant, Le Mirliton (1887). De même, nous n’étions pas familier avec Henri-Edmond Cross, qui s’avère un bon suiviste de la méthode Signac – cf. La Promenade ou Les Cyprés (1897). Charles Filiger, peintre mineur, se livre à des tâches d’ordre décoratif (sa Jeune femme priant sur fond de paysage, 1903, pourrait telle quelle être éditée par Hermès sous forme de foulard).

Du point à la tache

La Baie de Saint-Jean-de-Luz, Côte de Sainte-Barbe (1904) de Georges Lacombe change le pointillé en tache et capte une couleur céleste d’un jaune assez rare. L’Arbre en fleur (1893) d’Achille Laugé concilie l’estampe nippone et la vision analytique telle que proposée par Seurat (dont la commissaire Vivien Greene n’a retenu que des dessins noirs et blancs au crayon). Le Café (1892) de Maximilien Luce innove très peu mais est efficace comme scène de genre domestique, homme et femme vaquant à leurs humbles activités, extrêmement concentrés sur elles. Ses extérieurs, en estompe et non en estampe, sont tout aussi réussis. Hippolyte Petitjean nous épate par la joie que dégagent ses Pins parasols, Sainte-Maxime (1895), une composition en diagonale proche par la touche des chefs d’œuvres de Van Gogh. Dans la même veine, Paul Ranson devra sa gloire posthume à l’exposition qui a déniché un admirable assortiment de lignes courbes, La Clairière ou L’Orée du bois (1895) et des esquisses que n’aurait pas reniées un Walt Disney (cf. La Jeune fille et la mort, 1894, qui a tout de Blanche Neige).

La toile Les Roches rouges (1906) de Louis Valtat, par son matiérisme un peu grossier est une queue de comète impressionniste. La scène de music-hall de Théo van Rysselberghe, Le Café-concert, Lizzie Aubrey (c. 1898), exécutée à l’eau-forte est vivace, tout comme son huile en bleu-gris dépeignant une Marée d’équinoxe à Boulogne-sur-Mer (1900). Sont paradoxalement éclatants ses plus grands formats ayant pour titres Le Moulin du Kalf à Knokke ou Moulin en Flandres (1894) et Le Canal en Flandre par temps triste (1894). Ker-Xavier Roussel fait preuve d’une technique sans faille et d’une netteté accomplie dans L’Éducation du chien (1893).

Peintres, graveurs, affichistes

D’Édouard Vuillard, on a réuni plusieurs illustrations paysagères gravées en lithographie à la fin des années 90 ainsi qu’une affiche publicitaire laissant présager, dès 1894, le dopage dans le cyclisme, puisque recommandant aux adeptes de la petite reine la consommation d’une “liqueur apéritive tonique reconstituante à base de viande” (anticipant donc sur le Viandox, l’Oxo et autres mixtures de la maison Liebig) ayant pour nom… Bécane. Pierre Bonnard, dont est exposé un ensemble relevant du “théâtre du quotidien” (pour reprendre l’expression d’Ann Dumas), a aussi fait dans l’affiche publicitaire (cf. sa litho en couleur annonçant pour juin-juillet 1896 une expo des Peintres graveurs). Avec la fameuse affiche de Théophile-Alexandre Steinlen à la gloire de La Très illustre Compagnie du Chat noir (1896), la publicité confirme d’une manière éblouissante son entrée dans l’art.

À cet égard, le lot d’affiches du génial Albigeois (inutile d’écrire son nom qui célèbre aussi la ville rose), parfaitement conservées et idéalement disposées dans la salle du fond (Ambassadeurs, Aristide Bruant, 1892; L’Anglais au Moulin Rouge, 1892; Au Moulin Rouge, La Goulue et sa sœur, 1892; Jane Avril, 1899; La Revue blanche, 1895; May Milton, 1895; Le Photographe Sescau, 1896; La Troupe de Mademoiselle Églantine, 1896), une fois accompli le parcours initiatique imaginé par Vivien Greene, mérite à lui seul le déplacement.

Et plus si affinités

https://parisfindesiecle.guggenheim-bilbao.eus/fr/

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Nicolas Villodre

Posted by Nicolas Villodre