1967 : le Summer of love bat son plein. Le mouvement hippie envahit les USA depuis son centre névralgique, Haigh Ashbury à San Francisco. Mot d’ordre : liberté. De pensée, de mœurs. Refus des carcans familiaux, du système de consommation, du système politique. Dénonciation de la guerre du Vietnam, lutte pour les droits civiques des noirs. Rock et drogue. De partout des gamins paumés déboulent à Frisco pour vivre cette exaltation quasi mystique, dans la ferveur des festivals et la prise massive de LSD. Une image d’Epinal, où transparaissent ici et là, le revers de la médaille, le côté obscur de la force, le temps de la brutalité, de la mort et du sang.
Bobby Beausoleil constitue l’un des visages de cette essence bicéphale. On se souvient de ce beau gosse au nom lumineux pour ses affinités avec la Famille de Charles Manson, dont il fut l’exécuteur initial. Condamné à perpétuité pour le meurtre de Gary Hinman, professeur de musique, pacifiste et dealer notoire, il inaugure le cycle de folie assassine de la secte. C’est oublier que ce tueur à la beauté sidérante fut aussi musicien, artiste et acteur, impliqué dans l’incroyable fourmillement créateur qui animait la Californie des 60’s.
Comment cet instrumentiste prometteur, imaginatif en diable, a-t-il basculé ? Qu’est-ce qui l’a poussé dans les ténèbres de la conscience, avortant ainsi une carrière prometteuse ? Voici la question posée par Fabrice Gaignault, qui part sur les routes américaines en quête sinon de réponses, du moins de pistes à explorer pour affiner ses questions. Los Angeles, Frisco donc, puis le désert, la Vallée de la Mort : patiemment, l’auteur retrouve ceux qui auraient pu croiser la route de Beausoleil dans la proximité de la Russian Embassy, squat favori de l’underground.
Et doucement on réalise que d’autres empruntèrent le chemin de l’ombre, dans une aura légendaire aux parfums de souffre. Kenneth Anger le cinéaste épris du sorcier Aleister Crowley, dont le film Lucifer Rising disparaîtra corps et âme, volé peut-être par Bobby ? Gram Parsons, décédé mystérieusement dans une chambre du Joshua Tree Inn et dont le manager subtilisa la dépouille pour l’incinérer dans le désert. Pamela Des Barres, mythique groupie aussi célèbre que les groupes qu’elle adulait. Et d’autres encore, qui recomposent une mosaïque inquiétante, entre morts et vivants, témoignant des vices, des excès, des démences relatées dans Bobby Beausoleil et autres anges cruels.
Chaque page de ce road trip prenant saisit à la gorge, nous entraîne un peu plus profondément dans cette atmosphère lourde et fatale, ce gouffre de psychoses et d’hallucinations, où les survivants confrontent leur passé avec tristesse, regret et effroi. On comprend mieux alors les dérives décrites dans Altamont 69, les deux ouvrages se rejoignent pour démonter l’image faussement radieuse d’une époque finalement dévastatrice mais ô combien initiatrice. Transition nécessaire, antagonisme fondateur, condensé dans le profil d’un dandy vêtu comme un croque mort et suivi d’un chien blanc.
Et plus si affinités