Kumulus – Les pendus : nos lâchetés au gibet de nos hontes

Bon c’est pas le tout de partir faire les festoches de province la fleur au fusil et le sourire aux lèvres. Il convient ensuite d’en faire état. Et je ne me voyais pas attaquer la chronique de mon périple en terre éléphantine lavalloise sans commencer par la grosse claque finale, à savoir Les pendus.

Ah là, faut avouer qu’en programmant cette véritable mine antipersonnelle, Les 3 éléphants ont largement justifié leur réputation d’évènement hors normes et rentre dedans, dont nous évoquions la teneur il y a peu en présentant la session 2013 du festival avec son programmateur Jeff Foulon.

Ici ce n’est pas de rock que nous parlons mais de théâtre, ce qui du reste n’est pas totalement incompatible, encore moins contradictoire puisque Les pendus est on ne plus secouant du point de vue, des cœurs et des méninges. Ecrit par Nadège Prugnard, monté par la compagnie Kumulus sous la houlette de Barthélemy Bompard, le spectacle présente … une exécution publique.

Une pendaison : trois hommes, une femme, un bourreau et son aide, une potence. Echafaudage de mort, estrade dramatique ? Les quatre personnages vont y mourir pour commencer ensuite leurs dialogues de sourds, cherchant en vain à échapper à leurs cadavres pourrissants pour accéder à ce paradis qui refuse obstinément de s’ouvrir.

Rien ne nous est épargné de ce rituel atroce qui évoque sans pitié Les derniers instants d’un condamné de Victor Hugo, les images beckettiennes de Vladimir et Estragon rêvant de se pendre, les cadavres chantant La Balade des pendus de Villon, la hargne soudaine de L’Etranger de Camus. Ou ces déportés trop désobéissants que les SS exécutaient en exemple pour calmer les autres. Et qu’ils laissaient mourir doucement, sans leur briser la nuque, par pur sadisme.

Nos quatre morts ne sont coupables que de révolte et de marginalité : celle du punk rebelle qui crache sur une société hypocrite, celle de l’étranger en proie au racisme et à la ségrégation, celle du celle de la femme actrice, artiste et libre face à un système patriarcal qui refuse son autonomie et l’enferme dans une rôle de séductrice/reproductrice, celle de l’auteur/artiste qui dit tout haut ce que tout le monde pense et qu’on s’empresse de faire taire. Définitivement.

Mais les morts parlent. Et plus ils se balancent, plus ils déblatèrent. En ce dimanche 26 mai, sous le soleil de Laval, dans cette cour d’école qui jouxte le lycée Ambroise Paré, devant cette façade qui semble celle d’une église, austère et écrasante, ils ont même la langue bien pendue, si je puis oser cette ironie. Et ils crachent leur colère, leur incompréhension, leur peur, leur rage de liberté, leur lente décomposition, appelant à la révolte, clamant le rôle de l’artiste, sa fonction première de réveiller les torpeurs, de secouer les esprits.

Sexisme, ségrégation, fanatisme, obscurantisme, refus de la différence : le texte est foudroyant, l’interprétation spectaculaire (une heure et demi à dire ses répliques à danser au bout d’une corde au propre et au figuré, il faut pouvoir), l’effet saisissant. On rit, on tremble, on se prend ce spectacle d’agonie en pleine face. En tremblant. Kumulus s’est imposé en jouant dans le tissu urbain, en posant ses tréteaux dans la ville même. Ici ils marquent le point en réveillant le théâtre de la douleur que fut la peine de mort. Abolie heureusement. Mais pas partout.

Et en regardant Les pendus, on réalise soudain que ces gibets existent encore auxquels nous accrochons nos lâchetés comme autant de hontes.

Et plus si affinités

http://www.kumulus.fr/repertoire/les-pendus

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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