Focus le théâtre contemporain réunionnais : Alexis Campos évoque « La terre sous les ongles »

Juillet 2022 : présente au OFF d’Avignon avec d’autres troupes réunionnaises dont celle de Daniel Léocadie, le Collectif Alpaca Rose est actuellement présent en métropole pour jouer une création jeune public La terre sous les ongles mis en scène par Alexis Campos. Ce dernier évoque pour nous la gestation de ce spectacle ainsi que les réalités du théâtre à La Réunion.

Votre nouvelle création, jeune public, aborde les thématiques de la mort et du deuil. Comment amener au plateau des sujets aussi graves pour un public aussi spécifique ? À travers des lectures, des témoignages d’enfant ?

Je voulais absolument aborder le thème du deuil chez les enfants en étant le plus sincère possible, en ne cachant rien de ce sujet un peu tabou à cet âge. À travers le deuil d’un animal de compagnie, je pensais mettre de la distance tout en gardant le sujet au centre de ce spectacle. Il est vrai qu’ensuite pendant les résidences de recherche, nous avons beaucoup lu de livres et de documentaires sur le sujet comme La croûte de Charlotte Moundic et Olivier Tollec , Et si on parlait de la mort, un documentaire d’Anne Jochum … Grâce à ces supports, cela nous a rassurés sur comment en parler simplement aux enfants.

On se souvient que précédemment, dans Terminus ou La Mastication des morts, vous vous empariez de ce sujet : la mort. C’est quoi cette obsession ?

Ce triptyque est né malgré moi avec, pour finalité, ce projet à destination des enfants La Terre sous les ongles. J’ai abordé ce thème avec l’envie de mettre nos morts en avant, d’en parler sans tabou. En parler, c’est les rendre un peu vivant dans la mémoire collective. Je voulais que les lieux mortuaires deviennent des lieux d’échanges, de questionnement, des villages paisibles, mais pleins de vie. Qu’il n’y ait pas de gêne, par exemple, à rire dans un cimetière et de s’y sentir bien…

C’était le but lors de la performanceLa mastication des morts de Patrick Kermann avec les élèves du conservatoire de La Réunion : comme un grand cimetière ouvert sur le monde et sur les vivants. D’écouter le murmure tout simplement. C’est, pour moi, le signe d’une société saine que de savoir accueillir ce sujet sans peur.

Terminus était plus un hymne à la vie… le public ressortait avec l’envie d’être deux fois plus vivant, car chanceux d’être là, d’être en vie et de respirer intensément.

Finir pour le jeune public permet de créer un lien entre les parents et les enfants sur la manière d’échanger sur ce thème et amène l’enfant dans le cercle des questionnements. Avec ce triptyque, je voulais aborder et parler du deuil à tous les âges

La pièce a été jouée à La Réunion cet été. Comment a-t-elle été reçue par le jeune public ? Des échanges, des bords plateaux pour recueillir les paroles et réactions des enfants ont-ils eu lieu ?

Nous avons joué 14 fois au mois de juillet lors du festival Il était une fois …les vacances !. Ce fut une tournée intense et riche en émotions. Des yeux qui brillent et des échanges enthousiastes. Ce projet permet d’ouvrir des espaces de discussions parents/enfants et c’est ce que je trouve beau dans cet acte artistique.

Le bord de scène a été très important durant cette tournée. Voici quelques retours recueillis lors de ces échanges : « moi j’ai été comme la petite », « le chien était trop drôle, mais pourquoi il est mort », « et toi, tu es encore triste ? », « Merci de m’avoir fait revivre la perte de mon animal quand j’étais enfant » , « Émouvant », « C’est donc ça le deuil ! », etc.

Vous avez un pied à La Réunion et un pied à Voiron. Comment s’est opéré ce grand écart géographique ?

Natif de Voiron avec mon cœur sur l’île de la Réunion, faire une passerelle me semble évident. J’ai connu La Réunion en 2008 quand j’ai été compagnon comédien au Centre dramatique de l’océan Indien sous la direction de Pascal Papini et Lolita Monga. À partir de ce moment-là, je suis tombé amoureux de cette île et j’avais besoin de garder un lien. La meilleure chose à faire était donc de créer des échanges artistiques entre ces 2 territoires.

« La terre sous les ongles » est co-crée avec la Compagnie voironnaise CAO. Pouvez-vous nous la présenter et nous en dire plus sur votre façon de créer à plusieurs ?

J’aime les collaborations entre plusieurs artistes, plusieurs compagnies… et là avec cette compagnie naissante sur le pays Voironnais, il me semblait indispensable de faire ce pont avec le collectif ALPACA ROSE et la compagnie CAO. Cette création porte en elle toutes ces collaborations autour de ce thème : la perte d’un chien. Thibaut Garçon (metteur en scène) a posé les bases dramaturgiques avec moi. Ensuite est venu Thomas Billaudelle (Regard Extérieur) pour finir avec Mariyya Evrard pour les chorégraphies et le rythme. Le socle de laboratoire de recherche s’est fait avec eux en 2022 et début 2023 sur la métropole.

Agnès Bertille qui joue le rôle de la petite fille à la Réunion a, également, apporté des idées pour enrichir le spectacle.

La première force de ce jeune public vient des échanges permanents qu’il y a eus, de loin ou de près, sur la construction de cette pièce. La deuxième force est que nous avons construit ce projet autour de deux équipes d’artiste afin de pouvoir diffuser sur La Réunion et sur la métropole en même temps. Eddy Grondin et Agnès Bertille pour les dates réunionnaises et Mariyya Evrard et moi-même lors des dates en métropole.

« Une pelote de laine en guise de fil rouge, la musique comme un grand paysage intérieur » peut-on lire dans votre dossier. Racontez-nous un peu la scénographie, la dramaturgie de La terre sous les ongles ?

On voulait une scénographie simple et efficace que nous pouvions lire assez rapidement. Avec ce bout de gazon et ce tas de terre, la compréhension est directe : la petite a enterré son chien. L’idée des pelotes de laine et de la balle rouge pour le chien sert aussi de lien entre la petite et son animal… Ces fils tendus doivent être coupés pour avancer et tourner la page. C’est Valerie Fourry qui a proposé ce décor que nous avons trouvé pertinent au fur à mesure des répétitions. La musique créée par Lise Belperron est aussi très importante. Elle donne l’ambiance et la couleur du spectacle. C’est aussi un élément majeur dans le parcours des personnages.

Merci à Alexis Campos pour son temps et ses réponses.

Et plus si affinités

Pour en savoir plus et découvrir les prochaines représentations de La terre sous les ongles, suivez le compte Facebook du Collectif Alpaca Rose.

Dieter Loquen

Posted by Dieter Loquen

Natif de Zurich, Dieter Loquen a pris racine à Paris il y a maintenant 20 ans. On le rencontre à proximité des théâtres et des musées. De la capitale, mais pas seulement. Il aime particulièrement l'émergence artistique. Et n'a rien contre les projets à haut potentiel queerness.