Gothic : l’esprit romantique comme un cauchemar déjanté

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affiche du film de Ken Russell Gothic

Alors que Dauphine boucle son article sur le biopic Mary Shelley, je ne peux m’empêcher d’évoquer le sulfureux Gothic du non moins sulfureux Ken Russell. Dans la filmo du Monsieur, Tommy, The Devils, La Symphonie pathétique et j’en passe… une succession de longs métrages bien secouants pour ne pas dire frénétiques. Russell n’était pas tendre avec son public, aimant retourner les consciences. C’est le cas avec Gothic (1986) qui revient sur la nuit dantesque où les mythes littéraires du vampire et du monstre de Frankenstein furent mis au monde, dans le sang et la douleur, cela va de soi.

Accoucher du pire récit d’horreur qui soit

Été 1816 : le poète Shelley, sa compagne Mary et la demi-sœur de celle-ci, Claire, rallient la Suisse et la villa Diodati où le grand auteur Lord Byron s’est réfugié pour échapper au scandale. Il faut dire que Mister Byron a une vie pour le moins dissolue. Grand amateur de dames (y compris sa demi-sœur, ce qui explique le scandale), ce nihiliste impénitent boit, se drogue, écrit, et invoque les esprits. A l’excès. Dans son sillage, sa ménagerie et le docteur Polidori, médecin dandy aux plaisanteries douteuses qui se réfugie dans la religion pour échapper à ses attirances homosexuelles.

Pas vraiment des modèles d’équilibre donc, idem pour Percy et sa belle-sœur. Au milieu de tout ça, Mary, éprouvée par l’instabilité de son compagnon et la récente perte de son enfant, tente de conserver un brin de stabilité mentale. Pas évident évident alors que le temps se détraque, qu’un orage épouvantable s’abat sur la villa, et que, pour passer le temps, on fait tourner les tables et se lance un challenge : accoucher du pire récit d’horreur qui soit. C’est cet accouchement que Russel va raconter, avec l’outrance qu’on lui connaît. Une outrance d’une rare justesse.

Entre création et anéantissement

Décors baroques, visions cauchemardesques, courses folles dans des combles et des caves sordides où grouillent la vermine, nos quatre loulous vont jouer à se faire peur. Et ils vont aller trop loin. Bien trop loin. Dans ces pièces truffées d’armures et d’automates, où les ombres enragées par la tempête trompent les esprits embués par la drogue et l’alcool, il est facile d’imaginer le pire. Et d’exacerber ses obsessions, ses peurs viscérales. C’est cette étincelle créatrice flirtant avec l’anéantissement que Russell traque, dans le sillage d’interprètes hallucinés et particulièrement convaincants.

Gabriel Byrne en Byron nonchalant et malsain, Julian Sands en Shelley désaxé et perdu, Natasha Richardson en Mary Shelley rongée d’angoisse et de culpabilité, Myriam Cyr en Claire hystérique, Timothy Spall en Polidori autodestructeur : le quintet est mené de main de maître par un réalisateur particulièrement doué quand il s’agit de représenter la démesure, la folie. Or peut-on engendrer ces deux monuments de la culture pop cités plus haut sans passer par la case dinguerie absolue ? Et l’annihilation complète ?

Russell ne pose pas la question, il apporte une réponse qui fait frémir. L’atmosphère poisseuse du film, ce sentiment d’évoluer dans un rêve bizarre virant en une seconde au cauchemar (le célébrissime tableau Le Cauchemar de Füslli préside à cette résidence d’artistes qui a tout de l’escape game horrifique), la vision prophétique du destin funeste de ces génies voués au chagrin et au trépas… Outre la naissance de deux créatures littéraires mythiques, le film donne ainsi à ressentir ce que l’esprit romantique portait en soi de macabre, de morbide, de sombre. Et de génialement provocateur, de totalement innovant, de complètement intense.

Et plus si affinités ?

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Padme Purple

Posted by Padme Purple

Padmé Purple est LA rédactrice spécialisée musique et subcultures du webmagazine The ARTchemists. Punk revendiquée, elle s'occupe des playlists, du repérage des artistes, des festivals, des concerts. C'est aussi la première à monter au créneau quand il s'agit de gueuler !