Giovanni Falcone – Roberto Saviano : hommage poignant et arme littéraire

The ARTchemists Giovanni Falcone

23 mai 1992 : le juge Giovanni Falcone, son épouse ainsi que trois de leurs gardes du corps périssent dans l’explosion de leurs voitures. Le principal initiateur du maxi-procès contre la mafia sicilienne n’est plus, assassiné sur ordre du parrain Toto Riina. Mais mort, il accède au rang de martyr. Un martyr dont Roberto Saviano relate le long et pénible cheminement judiciaire.

De la patience, des preuves, une méthode

Né à Palerme, Giovanni Falcone entre dans la magistrature dans les années 70, alors que la Cosa Nostra s’est infiltrée dans toutes les strates de la société, politique, finance, institutions. Ce jeune juge comprend rapidement que pour vaincre cet ennemi, il va falloir de la patience, des preuves, une méthode. Et il va le prouver. Son travail minutieux, notamment avec le juge Paolo Borsellino, mène à l’instruction du Maxi-procès de Palerme (1986-87), où 475 mafieux seront jugés, 19 condamnés à perpétuité.

Une première historique, qui met à mal l’organisation de Cosa Nostra. Mais Falcone dérange. Menacé, critiqué. Isolé. Mis à l’index par la magistrature, écarté de Palerme, il s’apprête à monter un pôle de juges spécialisés à Rome quand une bombe placée sous l’autoroute près de Capaci le tue ainsi que son épouse et son escorte. L’attentat, d’une violence spectaculaire, fera la Une des journaux, marquera à jamais les esprits d’une population écœurée par la corruption régnant dans l’île.

Des pages semées de cadavres

Saviano ne livre pas ici une biographie classique. D’une écriture tendue, douloureuse, il décrit la solitude grandissante d’un magistrat intègre confronté aux lâchetés du pouvoir, à la barbarie des parrains, à la mort brutale de ses collègues. Ces pages sont semées de cadavres, ceux des mafieux qui s’entre-tuent pour prendre le pouvoir, mais aussi et surtout ceux des malheureux qui leur déplaisent et qu’ils liquident sans pitié. Ceux des juges qui s’interposent.

On apprend ainsi que Falcone est un martyr parmi tant d’autres, un nom sur une longue liste d’hommes à abattre, policiers, avocats, politiciens. Son combat aboutit parce que d’autres avant, ont posé les bases, un socle. C’est une course de relai, un marathon où celui qui tombe sous les balles passe le témoin à ceux qui vivent encore. Tous se savent en sursis. Falcone comme les autres. Ils échappent aux tentatives de meurtres, aux exécutions, jusqu’au jour où un tueur plus futé, plus rapide, mieux renseigné met un terme à leur existence dans un flot de sang.

L’angoisse au jour le jour

Intelligent, fin, observateur, plein d’humour, Falcone sait qu’il joue avec sa vie. Il en a conscience et cela le taraude, le dévore. Il sait qu’il est un « mort-vivant ». Et Roberto Saviano lui prête cette émotion, ce détachement spécifique… car il vit cela au quotidien. Un homme traqué par ses mots parle dans ces pages d’un homme traqué pour ses actes. L’auteur de Gomorra, sous protection policière permanente, vit au jour le jour l’angoisse qu’a ressenti Falcone.

La mort est partout, face à la vie, le plaisir de la mer, les repas succulents entre amis, les nuits d’amour, la fièvre de la traque aussi, car Falcone est un très bon juge, organisé, logique, qui développe sa stratégie avec bon sens. Et qui veut faire déraciner ce mal qui ronge son pays, sa ville, sa société. Un homme droit dans ses bottes, pétri de valeurs de justice, d’égalité. Et qui va jusqu’au bout, trouvant toujours des solutions, s’adaptant, rebondissant. Malgré l’épuisement, le désespoir, le sentiment de combattre dans le vide des ennemis qui se dérobent.

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C’est probablement pour cela qu’on l’a tué. Parce qu’il réussissait. Un modèle à suivre ? A l’heure où le crime organisé s’est globalisé, dans l’indifférence générale, au moment où les personnages de mafieux font l’objet d’une adulation cinématographique dérangeante, Giovanni Falcone ne fait pas que rendre hommage à un très grand homme devenu une figure mythique de l’Italie contemporaine ; véritable arme littéraire, le livre de Saviano remet aussi et sans ménagement l’église au milieu d’un village qu’il conviendrait d’expurger, enfin et avec la plus grande rigueur.

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Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.