C’est dans les salles de la fondation EDF dédiées à l’exposition Demain est annulé que je me prends le travail du photographe italien Gabriele Galimberti. En pleine face, en mode gifle. Plusieurs de ses clichés extraits de la série « Home Pharma » me claquent au visage, m’arrachent les yeux. Ces photos a priori sympathiques mettent en scène des familles et les médicaments qu’elles utilisent, histoire de mettre en évidence l’accès très inégalitaire des humains de la planète à des soins convenables. Et très franchement, je flashe sur cette manière de montrer les choses.
« Home Pharma »
Chaque cliché dévoile l’intimité de cellules familiales rencontrées aux quatre coins du monde, dans des pays très riches, d’autres beaucoup plus précaires. Saisis dans leur intérieur, ces couples, ces enfants, ces célibataires posent bien sagement, le sourire aux lèvres, avec, bien rangé devant eux, le contenu de leur armoire à pharmacie. Des boites, des fioles, multicolores, un peu comme un jeu de construction. Ces médocs, on ne les expose habituellement pas dans un portrait de famille. Cela fait pourtant partie du quotidien le plus banal : pouvoir se soigner est essentiel, une évidence.
Eh bien il faut croire que non. Selon l’origine géographique, le statut social, le niveau d’éducation, la couleur de peau, le nombre de plaquettes de pilules et de flacons varie de manière conséquente, jusqu’à disparaître complètement pour laisser place à des plantes et des fruits dans certaines régions si démunies qu’on ne peut s’y traiter qu’en référence aux méthodes des anciens. D’un cliché à l’autre, on passe de l’abondance moderne à l’herboristerie du Moyen Age. Injustice flagrante qui s’opère parfois au sein d’un même pays. Et en parallèle, un questionnement sur la surmédicalisation de sociétés modernes où pullulent les maladies liées à la malbouffe et la pollution. Alors, où se trouve la vérité ? Y en a-t-il seulement une ?
« The Ameriguns »
Pour le coup, la scénographie déployée par Galimberti colle un grand coup de pied dans la fourmilière de l’inéquité et de l’espérance de vie. Et sa méthode vaut pour d’autres thématiques comme je le découvre, ébahie en explorant son site web. Autre série marquante, « The Ameriguns » met en évidence des collectionneurs d’armes américains. Hommes, femmes, couples, fratries posent avec autour d’eux, positionnés de manière géométrique, des arsenaux impressionnants, armes de poing, fusils d’assaut, armes de guerre, qui s’invitent dans un salon de musique, une salle de bain, une chambre de jeune fille, autour d’une piscine ou sur une terrasse.
Et à l’arrière plan, entre le chat et les chiens du foyer, une voiture de luxe, une télévision dernier modèle, des affiches de ciné, une statue de soldat iméprial échappé de Star Wars. Phénomène culturel, tradition, fierté, sentiment de pouvoir, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, peu importe la couleur de peau, le sexe, l’âge, ces gens armés jusqu’aux dents incarnent une facette de la conscience américaine. Leur manière de s’afficher trahit la complexité de la problématique du désarmement des populations dans un pays qui a érigé le droit au flingue comme un principe essentiel de liberté.
Gabriele Galimberti a exploré d’autres champs de questionnement, utilisant à chaque fois le même genre de tactique : au travers d’un portrait, pénétrer l’intimité, mettre en évidence une réalité sociale, donner à ressentir sa complexité. Interdire en un seul cliché les justifications hypocrites, les excuses à deux balles. Pousser automatiquement à la réflexion. Pour le coup, sa manière de photographier constitue une stratégie imparable de prise de conscience, une parade rude, mais nécessaire à l’aveuglement des foules.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur le travail du photographe italien Gabriele Galimberti, consultez son site web.