De la ferme à spiruline à Viridis : retour sur une mutation

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Viridis : il aura fallu deux ans à Sandra et Gaspard pour faire naître ce projet. Lui donner corps d’un côté au travers d’une exploitation de spiruline patiemment développée dans les locaux d’Oudéis puis dans une ferme construite par leurs soins, de l’autre le dématérialiser par le biais d’un jeu dont ils ont orchestré le scénario et l’interface. Aujourd’hui la passerelle entre les deux univers est finalisée : le jeu tourne, séduit, fédère et la ferme se développe au rythme des parties et des missions réussies par les gamers.

Viridis / Tutoriel 1 from Oudeis on Vimeo.

De facture superbe, Viridis explose les cadres et les définitions en repensant l’apport du virtuel dans son intégralité. Les armées vont aujourd’hui vers la guerre virtuelle au travers de bombardements effectifs et meurtriers effectués avec manettes de jeu et image distanciée ? Viridis inverse la tendance en entraînant l’action ludique dans le concret pour créer et cimenter le groupe, orienter les efforts et les collaborations vers la construction. Réaliser la paix, alimenter l’échange, produire ensemble. Par delà la distance géographique, par delà la différence d’origine, d’éducation, de moyens.

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Planches réalisées par Mathieu Bertrand et relatant le projet Viridis tel qu’il fu réalisé en résidence avec l’AADN LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

La ferme à spiruline n’est qu’une étape ciblée à Le Vigan, demain elle pourrait se retrouver e Afghanistan, en Afrique noire, en haut de la Cordelière des Andes, dans des camps de réfugiés, au cœur de la Grèce en crise. Pour sauver des vies, pour reconstituer du lien social, pour impulser un noyau économique qui sait ? Et qui nous dit que demain la ferme ne produira pas autre chose que de la spiruline ? En attente d’octobre 2014 où l’expérimentation prendra fin et où il sera temps de dresser le bilan effectif de l’opération, nous avons fait un tour d’horizon en interrogeant gaspard sur l’orchestration de Viridis. Scénarisation, rapport réel/virtuel, réalisation, enjeux, potentiel… ses réponses renforcent le sentiment d’un projet aux ramifications multiples et à l’ancrage profond.

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Vue panoramique du jeu Viridis LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Pourquoi Viridis ?

« Viridis », ce qui vient du vert. La spiruline est verte, c’est poétique, c’est un titre plus énigmatique et moins littéral que la ferme à spiruline. Il n’empêche que le projet reste associé à la ferme à spiruline. Généralement, c’est « Viridis, la ferme à spiruline »

Un jeu, une formation, une oeuvre d’art ? Qu’est-ce exactement que Viridis?

Tout ça évidemment, c’est aussi une recherche appliquée. C’est une expérience, une expérimentation. Avant tout, c’est une œuvre, un process, une démarche émanant de plasticiens qui se questionnent sur les medias et comment ils s’hybrident à notre quotidien. Comment nos usages du numérique peuvent ou pas changer le monde ?

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Le Guru dans sa grotte LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Quel est le rôle exact du guru ?

Le guru est un personnage ambigu. Il est à la fois le patriarche, le guide, le shaman, celui par lequel le joueur peut plus ou moins avancer et survivre. Mais, de façon équivoque, il pourrait très bien être un allumé enfermé dans sa grotte et croire que le monde a dérivé et la civilisation disparue tandis qu’il en est juste déconnecté.

Le jeu est volontairement atemporel. Il pourrait se dérouler maintenant ou même dans 100 ans. L’objectif n’était pas de fixer le temps absolument mais plutôt de laisser l’interprétation du joueur donner des réponses au scénario. Tout comme les « Ombres », figures menaçantes mais que l’on ne voit jamais. Au mieux, on les entend et on assiste aux ravages qu’elles ont provoqués.

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Tableau de bord du jeu LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

L’esthétique de Viridis est impressionnante. Pourquoi ce décor partagé entre nature sauvage et immeubles abandonnés ? Quel effet recherchiez-vous ?

Il y a plusieurs autres univers également. L’accélérateur de particules, le Tribunal, le Fort ou la Serre. Ce tout, en termes de niveaux, constitue les lieux réels sur lesquels nous nous sommes rendus pour faire nos captations. Nous cherchions des no man’s land pour figurer l’idée d’une société en décrépitude, voire abandonnée mais dans lesquels l’on peut trouver des ressources nécessaires à la construction d’une unité de spiruline.

En un sens, si la civilisation disparaissait, les rares survivants seraient contraints de s’appuyer à la fois sur les vestiges restants du monde mais aussi se réintégrer à la nature et ses ressources. Notre idée était de figurer un univers techno-naturel. Une forme de déambulation, d’observation, d’immersion du monde à la fois traversé par la technologie mais aussi en lien avec la nature, justement, car dans un monde post-apocalyptique, les systèmes de pensées et de croyance retourneraient sans doute plus à un monde animiste. Et le jeu va dans ce sens avec les « Ombres » et l’idée de Viridis, un élément naturel qui aide l’homme à vivre, survivre. Viridis, comme contre-poison vert et espoir d’une continuation.

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Sandra en pleine séance de shooting pour rassembler les panoramiques composant l’univers du jeu LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Le jeu Viridis est en connexion constante avec le réel de l’exploitation en développement. Comment avez-vous équilibré l’équation virtuel/concret ?

C’est en grossissant le trait, en décontextualisant que l’on rend plus lisible et évident l’idée d’une nécessité aujourd’hui réelle dans notre monde. Faire un jeu trop inscrit dans le réel, ce serait soit opter pour un serious game soit perdre de vue que le jeu autorise l’imaginaire de dériver, justement pour rendre plus évident des problématiques qui nous semblent évidentes et actuelles. En un sens, un jeu reste un jeu. Mais son propos dépasse le simple cadre du jeu.
De façon pragmatique et depuis l’interface du jeu, on peut accéder en tout instant à la ferme réelle, avec au choix la vue sur les datas provenant des capteurs ou bien, différemment, pouvant dépenser les points collectés et gagnés durant les explorations, points que l’on investira directement dans la vraie ferme et sur les items.
Tout au long du jeu, le guru intervient en conclusion ou bien en introduction, voire durant les missions, pour prodiguer des conseils. Ces conseils portent justement sur la bonne construction d’une ferme ou sur le bon investissement des points dans la vraie ferme.
Egalement, et c’est l’essentiel, au fur et à mesure du jeu, on collecte des objets. Ces objets sont constitutifs de la construction d’une ferme à spiruline. Il y a, chaque fois, des indices ou explications faites sur ces objets et comment les employer.
Enfin, le jeu est constitué de 14 étapes dont les 4 premières forment un tutoriel pour comprendre comment évoluer dans le jeu, crafter et s’équiper d’outil. Chacune des étapes correspond à une étape propre d’implantation d’une ferme à spiruline. Orientation, creuser le bassin, isoler le bassin, apport d’eau, protéger les outils, trouver les ressources pour brasser la culture, étendre la culture, constituer le milieu de culture, autonomie énergétique, etc.

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Gaspard photographiant un laboratoire LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Ce projet est vaste, ambitieux et complexe. Quel peut être son avenir ?

On pourrait parler d’enjeux multiples. Enjeux agronomiques qui intéressent les spiruliniers professionnels, enjeux de game design justement pour constituer des expériences de jeu pertinentes entre le réel et virtuel, enjeux de recherche et collaboration avec les modules additionnels conçus auparavant (installations, bioreacteurs, photographies, sound design).
On pense plus à une nouvelle saison avec une continuité scénaristique, de nouveaux niveaux, plus denses encore, des interactions plus complexes. Maintenant qu’on a une équipé solide et que le plus gros a été posé (outil de développement, méthodologie générale, game design), nous avons les bases pour travailler beaucoup plus vite.

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Viridarium LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Viridis a bénéficié d’une semaine de résidence chez AADN. Comment le projet y a pris forme ?

AADN a été l’un des partenaires du projet. C’est avec cette structure lyonnaise que nous avons pu créer un open-atelier rassemblant différents profils de personnes, aquariophiles, designer, régisseur, plasticien, dessinateur, pour créer Viridarium, une installation constituée de bioreacteurs de spiruline. Ces temps chez AADN ont eu plusieurs aboutissements, travailler sur le bioreacteur et réfléchir à la dimension de l’installation, sortir de l’écran. Mais aussi, découvrir des lieux fermés au public ou atypiques, enfin la mise en lien avec des professionnels du secteur du jeu-vidéo, notamment l’agence Events for Games qui a conçu le game design du projet et permis de réaliser le jeu-vidéo comme on le voit aujourd’hui.

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Visuel du jeu LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Viridis propose une interface de jeu dense et singulière. Quel type d’expérience vouliez-vous ouvrir au gamer ?

Le projet est important en volume et temps, et il faut prendre le temps d’y rentrer, de jouer, visionner les vidéos. Comparativement à d’autres jeux commerciaux ou plus structurés par des studios, ce jeu n’a pas une longévité illimitée mais il faut prendre le temps, il faut observer, naviguer, déambuler, cogiter sur les crafts, lire les textes, visionner les vidéos. Ce jeu c’est une expérience assez inédite offerte à chacun. Après, il faut vouloir y entrer et être capable d’y entrer. Cela suppose prendre le temps. Si le joueur veut du Candy Crush, c’est pas le bon endroit pour. Si le joueur veut du prémâché ou du commercial, c’est pas non plus le bon lieu. Viridis, même si c’est un jeu, n’en demeure pas moins une œuvre d’art et pose des questions et s’offre au joueur comme une œuvre au public. Donc, l’alchimie peut opérer ou pas. Néanmoins, la communauté de joueurs constituée et active laisse bien supposer que cette interaction fonctionne. Le jeu ne constitue qu’une partie du projet global, Viridis c’est une communauté, une ferme réelle, c’est aussi de la recherche, de l’expérimentation. Ce sont des capteurs, c’est de la ressource théorique, avec les entretiens réalisés cette année avec Manuel Fadat, commissaire d’exposition et historien de l’art. Ce sont des réseaux aussi de partenaires qui ont cru au projet et ce tout permet, maintenant, de formuler le fait que, oui, cette initiative peut aboutir concrètement et se réaliser.

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La réalité de la ferme à spiruline LicenceCopyright Tous droits réservés par oudeis_levigan

Les joueurs ont une part active dans le fonctionnement d’une exploitation agricole véritable. Comment se traduit concrètement cette interaction ?

Lorsqu’on regarde les systèmes d’interaction de la ferme réelle ainsi que le fil twitter, journal de bord, il s’agit d’un travail de concertation, d’échange et d’investissement. Donc, le fermier n’est pas aux ordres de la communauté, il coopère. Il les sollicite et leur permet de prendre part au projet. Certains joueurs, par exemple, ont constitué un forum d’entraide, crée un document tableur pour recenser les ressources, astuces et informations vitales du jeu.
Ils se fédèrent aussi pour savoir sur quels items majoritairement les crédits de points doivent être investis. Certains joueurs, aussi, nous écrivent parfois pour s’enquérir de l’odeur ou d’une valeur de capteur qui leur paraît suspecte. De plus, ce lien est consolidé au fur et à mesure par l’insertion graduelle de photos faites sur la vraie ferme et aussi pour montrer, attester de la bonne réalisation des travaux validés par la communauté. La spiruline est donc gérée collectivement, il s’agit d’une expérience responsable et non pas autoritaire.

Merci à Gaspard Bébié Valérian pour ses explications.

Et plus si affinités

http://viridis.guru

www.oudeis.fr/virdis

www.art-act.fr

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com