DS 7 Crossback Louvre : quid de la culture vroum vroum ?

Dans la série « La culture, ce magnifique faire-valoir marketing », je demande l’édition limitée de la DS 7 Crossback Louvre. Et m’en vais vous trousser une petite analyse de la chose, histoire de vous faire marrer et peut-être un chouia pleurer dans les chaumières ? Allez c’est parti !

Finition «Grand Chic »

Donc la DS 7 Crossback Louvre, dernière née des séries limitées de luxe de la marque DS Automobile, anciennement branche haut de gamme Citroën, devenue indépendante en 2015. 1500 spécimen seront vendus en exclusivité aux happy few qui auront mis la main à une poche bien garnie, vu que ces petites merveilles de technologie racée se négocient entre 54 000 et 67 300 euros, selon les variantes. Et pour ce prix là, on a droit à quoi ?

Outre les options de base type vitres feuilletées, éclairage LED, ordi de bord, version hybride, freinage d’urgence et autres joyeusetés que je vous laisse découvrir par vous-même, vu que j’ai une culture automobile assez réduite et pas le permis ? Alors si je consulte les nombreuses fiches produits qui ont inondé la presse généraliste, économique et automobile, ce modèle de luxe propose « deuxmotorisations hybrides rechargeablesde 225 et 300 ch » et «les blocs essence Puretech de 180 et 225 ch » ainsi que «le diesel BlueHDi de 180 ch ». Traduisons : y a de la puissance sous le capot.

Et un sacré look avec finition Grand Chic (j’adore l’expression !) inspirée de la DS Opera noir Art basalte, ce qui suppose à la louche et dans le désordre : quatre teintes Bleu Encre, Cristal Pearl, Noir Perla Nera et Gris Platinium (le travail de naming est juste succulent, non mais franchement) – Accoudoir central/de porte TEP Isabella – DS Wings et jonc de hayon Noir Brillant – Jantes alliage 20’’ ALEXANDRIA – Pack Sièges électriques avec sièges avant chauffants, massants et ventilés – Pare-brise chauffant – Planche de bord et panneaux de porte présentant un effet patiné – Télécommande avec insert chromé – Poignées de maintien avant et arrière en cuir (effet 50 shades of grey ?)– Pommeau cuir lisse – Rails de console centrale en aluminium guilloché – Barres de toit noires brillantes – Commande sous écran central avec incrustation de cristal.

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Le Louvre sur les rétros

Ok, à ce stade de ma démonstration, vous vous demandez si je n’ai pas tourné vendeuse de bagnole dans un concessionnaire du 16eme, et ce qu’accessoirement le Louvre vient faire dans cette histoire de vroum vroum culturel. J’y viens. Figurez-vous en effet que le coût de cette charmante mécanique est par ailleurs justifié par l’omniprésence de notre prestigieux musée aux quatre coins de l’habitacle : Monogramme LOUVRE sur le capot et le volet de coffre – Ornement d’aérateur 3D Pyramide sur inox – Badge LOUVRE sur la planche de bord en aluminium guilloché – Couvercle de rangement central avec embossage Pyramide sur Cuir Nappa – Coques de rétroviseurs extérieurs avec gravure laser motif Pyramide. Et pour parachever l’ensemble, l’écran 12 pouces diffusera l’appli embarquée « Un jour au Louvre » avec à la clé 182 chefs d’œuvre à afficher et des podcasts de 4 minutes dispos en cinq langues pour parfaire ses connaissances en Histoire de l’art.

L’ensemble sera disponible au compte goutte et pour les plus nantis dans 18 pays … où la Chine n’apparaît pas, ce qui est assez surprenant vu que les chinois ne jurent que par la Pyramide de Pei. Anyway, ce qui nous intéresse ici, plus que le produit en lui-même, c’est le partenariat dont il est le fruit. L’alliance entre le Louvre et DS Automobile prend corps dés l’avènement de la griffe à roulettes sur la base d’un combat commun pour défendre et diffuser la culture française en général, parisienne en particulier. N’oublions pas que la DS fait partie des légendes industrielles hexagonales, consacrées par Roland Barthes dans ses Mythologies, ce qui n’est pas rien, mais tient quand même de la culture pop. Pour monter en gamme, il faut un partenariat prestigieux … qui est claironné partout dans la presse à grands renforts de communiqués et d’events.

« La marque DS dont l’ambition est d’incarner dans l’automobile le savoir-faire français du luxe partage avec le Louvre une même philosophie, celle d’allier sans cesse l’héritage à la modernité pour construire son avenir. Notre vision commune s’appuie sur l’excellence, le savoir-faire et l’innovation pour faire rayonner la France à travers le monde. Pour nous, la Pyramide du Louvre en est une des plus belles illustrations et il nous est apparu tout naturel d’accompagner le musée dans son projet de réaménagement des espaces d’accueil situés sous cette œuvre audacieuse » dixit Yves Bonnefont, Directeur général de la marque DS, partenaire du Louvre depuis 2015, sur le site du constructeur.

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« De l’audace naît l’élégance »

S’ensuivent du mécénat d’expo, le financement de nouvelles salles, la cour du Louvre utilisée comme lieu de présentation de la nouvelle DS3 en 2016 avec la p’tite expo dédiée qui va n’avec et la visite du musée en nocturne pour les invités, l’apparition de la pyramide dans la pub de la DS4 destinée au marché chinois, et donc ce modèle collector siglé à l’effigie du musée … qui s’avère une marque lui-aussi ! Marque qu’il s’agit de développer avec en ligne de mire un rayonnement international du côté des émirats ou de la Chine. Aux commandes Adel Ziane, directeur des relations extérieures du musée qui doit cornaquer cette aventure sans la dévoyer en tombant dans le tout venant. Car Louvre = luxe et savoir-faire à la française, crénom !!! Et les partenariats doivent filer dans ce sens, d’où des alliances avec l’horloger Vacheron Constantin ou Louis Vuitton, pour ne citer que ces prestigieux exemples.

Les entreprises ont tout à y gagner, tout d’abord comme protectrices des arts, statut dont on connaît l’efficacité médiatique depuis les Médicis. S’acoquiner avec un établissement comme le Louvre, c’est en sus augmenter son image patrimoniale, voire son aura artistique et culturelle, par contre-coup mettre en lumière la qualité de ses produits. L’édition limitée de la DS 7 Crossback Louvre n’est pas une collection capsule de plus, c’est carrément un petit chef d’œuvre en puissance, de technicité, d’élégance, une innovation dans le rapport à la culture et à la connaissance. L’expérience client en est bouleversée, le conducteur profite d’une tenue de route exceptionnelle, d’un confort hors pair tout en ouvrant son esprit au Beau. Pas dit que Kant ait goûté la subtilité de la manœuvre mais joindre ainsi l’utile, l’agréable et le rare peut en séduire plus d’un. C’est qu’à défaut d’être vraiment émancipateur au niveau cérébral, le vécu fera bien en terme d’affirmation d’une réussite sociale éclatante.

Insight, insight, quand tu nous tiens !!! «De l’audace naît l’élégance» revendiquait un spot de pub de la primo DS Crossback en 2018. Le Louvre choppe la balle au bond : alliance avec Airbnb, spot avec Beyoncé et Jay-Z … il faut positionner le musée sur différents fronts pour attirer le chaland toutes générations confondues et augmenter le chiffre d’affaire : les 40 000 œuvres exposées (une goutte d’eau face aux 500 000 stockées dans les réserves) ne peuvent à elles seules gonfler les rentrées d’un établissement dont la gestion va vers plus de souplesse, d’autonomie, partant de rentabilité. Disons-le autrement : les subventions étant à la baisse, il faut faire rentrer les pépettes fissa, les gars, monétiser par d’autres biais, quitte à draguer les entreprises privées même si elles n’ont aucun rapport avec le culturel. On y gagnera au passage des ambassadeurs enthousiastes : les heureux propriétaires de la DS 7 Crossback Louvre ( douce musique, je ne me lasse pas de le répéter) vont tous hériter d’une carte Amis du Louvre avec accès privilégié aux Louvre-s de Lens et d’Abu Dhabi (privilège, le mot est lâché), qu’ils pourront présenter à leurs connaissances en faisant les fiers … et peut-être même se sentiront-ils soudain l’âme de mécènes ? Après tout, les voies du Seigneur étant impénétrables, pourquoi ne pas tenter cette prospection inédite ? Pour peu que cela ramène son lot de leads et de conversion ?

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Le spectre du « deaccessioning » ?

Et l’art dans tout ça ? A racoler le partenaire, le Louvre ne prend-il pas le risque de perdre son âme et sa réputation mondiale ? De se faire dicter ses choix programmatiques ? Ses achats ? Ou d’être envahi par une flopée de manifestants dénonçant une alliance avec une entreprise un peu légère en matière d’éthique ? Ce qui est déjà arrivé du reste : assailli par les protestataires, l’établissement a dû escamoter rapido le nom des Sackler qui ornait une de ses ailes, et pour cause : cette richissime famille possède la big pharma à l’origine de la crise des opioïdes aux USA, ce qui n’est pas des plus vendeur). Dépendre de l’État comme des mécènes pour survivre n’est jamais confortable ; passer du carcan d’une gestion publique aux mécanismes impitoyables d’un management au rendement n’est pas plus enviable.

Ne vous y trompez pas. Je suis ironique certes mais lucide : parce l’État, les régions, les villes se désinvestissent progressivement faute de volonté politique et de projet à long terme, le Louvre, comme d’autres grandes institutions, doit dégager de nouvelles voies de financement et faire de la marge (l’hôpital public subit le même régime draconien, le glamour, des soignants et des lits en moins). Objectif : pérenniser son action, accompagner sa métamorphose à l’heure phygitale. Enfin ça c’était avant la tornade du coronavirus. Nous n’en sommes plus aux considérations excédentaires. C’est désormais de survie qu’il s’agit. La pandémie a directement impacté la fréquentation des musées, qui ont perdu leur public étranger, la jauge touristique ayant drastiquement plongé. Les nouvelles sont mauvaises : 75 % de visiteurs en moins pendant l’été pour le Louvre qui a perdu environ 40 millions d’euros dans l’histoire, jouant au passage les baromètres pour tout le secteur qui boit la tasse.

Avec des solutions d’urgence d’une rare dureté : les musées anglo-saxons multiplient les plans de licenciement : à titre d’exemple, 10 % des effectifs du Victoria & Albert Museum ont été fichus à la porte ; au Metropolitan Musem de New York, ce sont 20 % des employés qu’on a exfiltrés des équipes sans trop de ménagement. D’autres se sont décidés à vendre une partie de leurs collections : le Brooklyn Museum, pour ne citer que lui, s’est résigné à liquider aux enchères douze toiles de grands maîtres dont un Corot et un Cranach l’Ancien ; Christie’s se chargera de la besogne avec en ligne de mire une rentrée de 3,5 millions de dollars. La technique est baptisée « deaccessioning », ou aliénation des collections dans le langage de Molière. Elle est interdite en France … mais pour combien de temps encore ?

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Dans cette perspective, l’alliance Louvre / DS 7, c’est un comble, en deviendrait salutaire pour ne pas dire salvatrice … pour peu qu’elle tienne le choc. La Covid n’asphyxie pas que les malades ; elle s’en prend aussi très durement aux établissements culturels de tout poil comme aux entreprises. Dans le chaos actuel, la stratégie marketing du Louvre va-t-elle continuer de faire sens ? N’est-elle pas fragilisée par le séisme commercial qui menace les marques de luxe autant que les enseignes mainstream ? Marques de luxe qui risquent éventuellement de stopper leur soutien pour cause de réductions budgétaires drastiques ? L’avenir nous le dira assez rapidement. Avec dans le viseur l’échec de la culture vroum vroum ? Nous n’aurons alors plus d’autres solutions que d’assister impuissants au séisme de notre patrimoine culturel … ou d’ exiger la sanctuarisation de ce qui constitue notre héritage à tous, ne l’oublions jamais.

Et plus si affinités

https://www.largus.fr/actualite-automobile/ds7-crossback-une-serie-limitee-louvre-avec-acces-illimite-au-musee-10405405.html

https://www.connaissancedesarts.com/peinture-et-sculpture/louvre-x-citroen-une-collaboration-inattendue-du-musee-pour-rouler-avec-art-11144625/

https://www.caradisiac.com/presentation-ds7-crossback-le-louvre-le-suv-premium-francais-veut-profiter-de-la-lumiere-de-la-pyramide-185165.htm

https://www.challenges.fr/challenges-soir/givenchy-le-louvre-moynat-ds-multiplie-les-partenariats-de-luxe_415524

https://www.strategies.fr/actualites/marques/4038473W/la-marque-louvre-s-ouvre.html

https://www.lesechos.fr/2018/02/quand-ds-sapproprie-les-codes-du-luxe-983531

https://www.ladiplomatie.fr/2019/07/18/scandale-des-opioides-le-louvre-masque-le-nom-de-sackler/

https://www.francebleu.fr/infos/culture-loisirs/coronavirus-l-absence-de-touristes-etrangers-fait-plonger-la-frequentation-des-musees-parisiens-1599056198

https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/10/des-milliers-de-suppressions-d-emplois-dans-les-musees-britanniques_6055513_3234.html

https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/deuxieme-vague-de-licenciement-au-metropolitan-museum-de-new-york-150614

https://www.dsautomobiles.fr/modeles-ds/ds-7-CROSSBACK/design/edition-limitee-louvre.html?gclid=CjwKCAjww5r8BRB6EiwArcckC_3vTiqi4gf2l-rczGNCiyV9kD9-s2U-NikFwUsR5KZlrk3A7J373BoCwiIQAvD_BwE&gclsrc=aw.ds

Padme Purple

Posted by Padme Purple

Padmé Purple est LA rédactrice spécialisée musique et subcultures du webmagazine The ARTchemists. Punk revendiquée, elle s'occupe des playlists, du repérage des artistes, des festivals, des concerts. C'est aussi la première à monter au créneau quand il s'agit de gueuler !