Documentaire / L’avocat du diable – Olivier Meyrou : Pourquoi défendre l’indéfendable

« L’opinion publique est une pute, qui tire la manche de l’avocat après avoir enlevé ses jupes ».

En débutant son documentaire sur cette constatation, Olivier Meyrou donne le ton : c’est de l’avocat de la défense qu’il parle, de sa solitude et de sa rectitude morale. Et de la rectitude morale, il en faut quand on est commis d’office pour défendre Michel Fourniret et Monique Olivier. Un tueur en série obsédé par la virginité absolue et sa compagne qui le suit dans sa quête meurtrière comme une chienne de chasse. Le premier refuse d’être défendu, la seconde va tout faire pour se dédouaner. Fidèle ? Manipulée ? Manipulatrice ? Si le tueur reconnaît ses actes et endosse la responsabilité, la complice pose question sur question quant à son implication active ou pervertie. Des points de détail ? L’issue est de toute façon inévitable, la prison à vie au bout du procès.

A quoi bon alors défendre ces gens, me direz-vous ? Eh bien, parce que dans notre système législatif, toute personne doit être défendue. C’est cette évidence qui sépare notre civilisation de la barbarie et de l’arbitraire, ce pour quoi Voltaire, Montesquieu, Hugo, Zola et tant d’autres se sont battus. Personne ne devrait le remettre en cause ; et pourtant les avocats de la défense sont obligés d’assurer leur sécurité pour faire leur travail, craignant pour leur vie, celle de leurs proches. Et ces dix semaines de procès, précédées de plusieurs années d’instruction et de préparation, vont les malmener profondément, les impacter, dans leur perception du monde, de la vie, de la société, de l’être humain. On ne côtoie pas régulièrement Fourniret sans y laisser des plumes. On ne s’approche pas de Monique Olivier sans s’interroger sur les limites du tolérable. Et pourtant il va falloir plaider. Parce que c’est la loi, et le rempart qui protège notre communauté.

Dans cette tourmente intérieure sur fond de réforme de notre système judiciaire, nous suivons les préparations des avocats, la manière dont ils construisent leur plaidoirie, leurs choix stratégiques, leurs doutes, leurs peurs. Le documentaire prend le relai d’un précédent travail réalisé en 2004 : réalisé par Alain Hertoghe et Tony Malamatenios, L’avocat du diable se consacrait au procès Dutroux. Un autre diable, un autre avocat, une autre situation, une autre stratégie. Maître Magnié va tout faire pour que son client ne soit pas jugé … pour qu’on poursuive l’idée d’un réseau pédophile. Peine perdue : Dutroux jugé, l’affaire sera refermée, ses secrets scellés. Et les craintes de l’avocat de se révéler soudain prophétiques ? Tourné quatre ans plus tard, le documentaire d’Olivier Meyrou parle aussi de la défense d’un tueur impardonnable, mais pas dans le même cadre. Les avocats de Fourniret ne peuvent pas se raccrocher à l’hypothèse d’un réseau pédophile. Ils sont face à deux visages.

Il va falloir plaider. Même dans le silence forcé. Tandis que l’avocat de Fourniret est contraint au mutisme par un accusé qui refuse de se défendre, l’autre doit défendre une ombre insaisissable. Nous les voyons ici œuvrer. Le documentaire jamais ne donne dans le voyeurisme, dans le pathos, dans le sensationnel. Il se concentre sur les limites déontologiques, le cadrage argumentatif, la rigueur professionnelle qui écarte l’affect ou en joue car « le tribunal est un théâtre ». Tout ici est pesé, discuté, pensé, évalué. Et le réalisateur d’aller chercher les signes de cette évaluation. Des gros plans sur des expressions soucieuses, torturées, concentrées, soulagées. Des regards perçants, déterminés. Car c’est de détermination qu’il s’agit ici au finish : pas un seul de ces avocats n’a hésité un instant quand il s’est agi de dire oui. Pour défendre l’indéfendable. Parce que c’est leur fonction, leur conviction, leur conception du monde.

Le documentaire a été programmé dans le cadre d’une thématique Procès orchestrée par le 104. N’hésitez pas à vous informer, car il s’agit d’une démarche artistique, culturelle et pédagogique de qualité.

Et plus si affinités

http://www.104.fr/programmation/evenement.html?evenement=179

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

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